On lit un peu d’inquiétude dans le regard des deux agents de sécurité. Scrutant le parking de la grande et moyenne surface auxerroise, ciblée par la délégation des agriculteurs de la FDSEA et des JA de l’Yonne, ils cherchent des yeux les premiers protestataires qui pourraient s’engouffrer d’ici peu dans le magasin pour cette action de revendication. Une opération « coup de poing » menée sans heurts ni violences, et se voulant surtout pédagogique, voire informative, auprès des consommateurs habitués à fréquenter ce commerce. Objectif : porter le discrédit sur tous les produits alimentaires qui ne respectent pas les normes européennes et qui pourtant envahissent abondamment les rayons !
AUXERRE: Combien sont-ils exactement ? Une trentaine ? Une cinquantaine ? Un peu moins ? Ou légèrement plus ? Un comptage minutieux que les représentants des renseignements territoriaux de l’Yonne, discrets mais présents, prendront soin d’effectuer avec grand intérêt, comme à chaque rendez-vous social dans la rue. Mais cette fois-ci, ce n’est pas sur l’asphalte de la chaussée ni sur les trottoirs que la manifestation contestataire se déroule. Mais, bel et bien, au cœur d’un supermarché du cru, aux heures de pointe de ce milieu d’après-midi vraiment tristounet au niveau de la météo. La pluie redouble d’intensité à l’extérieur et nous sommes en période de fin de mois : conséquence prévisible, la clientèle regorge dans les allées du commerce GMS du cœur de ville. Pas si simple de trouver une place de parking pour y poser son véhicule. Idem pour dégoter un caddie, indispensable à la collecte de ses produits, prélevés ici et là parmi les gondoles.
Sensibiliser les consommateurs aux dangers des accords du Mercosur
Le mot d’ordre est simple chez les agriculteurs qui s’engouffrent munis d’un chariot à l’intérieur du magasin : vérifier la provenance de certains produits alimentaires sensibles (huiles, farines, charcuteries, fruits et légumes…) dont certains sont issus de l’importation. Un contrôle minutieux parmi les rayons, notamment sur les produits et les marques étrangères ne respectant pas les cahiers des charges hexagonaux.
« L’idée est de dénoncer les accords du Mercosur, confie l’un des agriculteurs contrôleurs, la casquette verte de la FDSEA rivée sur la tête, il serait grand temps qu’il y ait une vraie cohérence entre la France et l’Europe au niveau des réglementations. N’importons plus ces produits agricoles non respectueux de nos normes et que nous ne voulons pas sur nos étals ! ».
A l’intérieur de la grande surface, et par petits groupes munis de leurs caddies, les manifestants progressent en toute docilité parmi les rayons et la clientèle surprise par les tenues vestimentaires et les drapeaux identifiant ces hôtes un peu particuliers. Certes, l’action n’est pas spectaculaire mais elle s’avère efficace car en prise directe avec les consommateurs.
La distribution de tracts dénonçant la présence de produits alimentaires étrangers ne respectant pas les normes imposées par l’Europe s’effectue entre deux échanges explicatifs pour celles et ceux des clients qui prennent le temps (et le désir) d’écouter les revendications des adhérents de la FDSEA et des Jeunes Agriculteurs de l’Yonne.
Dans un coin, le président de la Fédération départementale des Syndicats Exploitants Agricoles Damien BRAYOTEL livre ses explications face à la caméra de nos confrères de France Télévisions.
« Il faut sensibiliser grâce à cette action les consommateurs aux dangers qu’implique la signature des accords du Mercosur, une trahison pour la cause agricole hexagonale… ».
Travailler plus pour gagner moins !
Pendant ce temps, certains agriculteurs posent une étiquette jaune sur les chariots, voire sur les produits « interdits » ; quand ce ne sont pas des rouleaux de rubalise qui délimitent un rayon entier de céréales à proscrire de sa liste de courses !
« Par cette action, renchérit Charles BARACCO, à la tête des Jeunes Agriculteurs 89, on souhaite interpeller Emmanuel MACRON pour qu’il tienne réellement ses promesses. A savoir ne pas ratifier les accords de libre-échange avec le Mercosur et refuser les taxes douanières des Etats-Unis sur les produits agricoles français… ».
Autre constat, l’énigmatique étiquetage de produits qui garnissent le rayon des huiles végétales. On peut y lire la mention production « Union Européenne ». Sans en connaître la véritable origine identitaire, ni les conditions de fabrication et encore moins les normes qui sont respectées par ledit article !
Des agriculteurs qui pratiquent l’art de la pédagogie auprès de la clientèle du magasin LECLERC auxerrois en alertant sur leurs difficultés à vivre convenablement de leurs productions. « Travailler plus pour gagner moins, ajoute l’un d’entre d’eux, très amer. Des agriculteurs qui promettent d’autres rendez-vous en novembre, sans doute moins pédagogique mais plus virulents si rien n’est fait d’ici là !
« Nous demandons des actes pour une vraie souveraineté alimentaire européenne, souligne Damien BRAYOTEL, plus d'un an après la mobilisation d'ampleur nationale, les agriculteurs sont encore en attente de mises en œuvre concrètes des promesses obtenues du gouvernement d’alors (celui de Gabriel ATTAL) pour simplifier leur métier et assurer leur compétitivité sur les marchés mondiaux… ».
Depuis, les choses ont évolué mais pas dans le bon sens pour la corporation. Un nouvel accord avec le Mercosur est à l'ordre du jour et ravive ses inquiétudes. Les syndicats dénoncent une situation de « deux poids, deux mesures ».
« En France, les normes environnementales et sanitaires continuent de s’empiler et pèsent de plus en plus lourdement sur les exploitations. Dans le même temps, nous importons toujours davantage de produits agricoles qui ne respectent pas ces mêmes normes. L’incohérence est flagrante, aussi bien à l’échelle intra-européenne (exemple : interdiction de l’acétamipride en France alors qu’il est autorisé dans d’autres pays de l’Union) qu’à l’échelle extraeuropéenne (importations massives de blé et de sucre en provenance d’Ukraine, ou encore de viande issue des pays du Mercosur). Ces importations pèsent sur les prix et mettent en péril la pérennité des exploitations françaises en fragilisant le revenu des agriculteurs, déjà sous pression… ».
Une seule chose serait acceptable pour les manifestants : l’application de règles simples, c’est-à-dire des règlementations communes en Europe, où tous les produits alimentaires qui ne respectent pas les normes françaises ne puissent pas être importés. De la pure logique en somme dans un monde qui l’est de moins en moins !
Thierry BRET