A l’appel de leur syndicat, les apiculteurs de l’Yonne, entourés de membres de la Confédération Paysanne, d’élus, de sympathisants de la cause écologique ou simples citoyens, se sont réunis à Auxerre, pour exprimer leur vive inquiétude face à la proposition de loi portée par le sénateur LR de Haute-Loire, Laurent DUPLOMB, en discussion à l’Assemblée nationale. Au cœur de la contestation : le retour possible des néonicotinoïdes, ces insecticides accusés de tuer les abeilles et porter gravement atteinte à la biodiversité et à la santé publique…
AUXERRE : A l’initiative du Syndicat des Apiculteurs de l’Yonne et de l’Association Sanitaire Apicole Départementale, ce rassemblement se voulait avant tout, un acte de vigilance démocratique. « Merci d’être là, entre deux miellées », a lancé en préambule Jean-Michel DUBUS, vice-président du syndicat aux apiculteurs, venus en nombre, malgré la saison chargée. Le discours est sans appel : « cette loi, c'est une catastrophe, une catastrophe pour les abeilles, pour l'apiculture, pour les apiculteurs, mais aussi pour les agriculteurs, même si un certain nombre d'entre eux n'en sont pas conscients ».
Faut-il encore présenter les néonicotinoïdes ? Pour les uns, « remède salvateur et indispensable » à la pérennité de l’agriculture traditionnelle et pour d’autres, un « joyeux cocktail neurotoxique », transformant les champs en déserts biologiques, la biodiversité au rang du passé et les ruches, en cercueils dorés ! Apparus massivement à la fin des années 90, les néonicotinoïdes, à l’image du tristement célèbre « Gaucho », se présentent comme des insecticides « systémiques » : enrobés autour des semences, ils pénètrent la plante, la rendant toxique pour tout insecte qui s’en approche, avec pour résultat des abeilles désorientées ne retrouvant plus leur ruche. Celles qui y parviennent, ramenant avec elles un pollen contaminé qui agit comme un poison lent sur l’ensemble des colonies : « le taux de mortalité qui était inférieur à 10 % est rapidement passé en moyenne à 30 %, voire dans certains territoires et pour certains apiculteurs à 80 %, c’est-à-dire la disparition des colonies… ».
Une loi qui favorise le modèle agricole ultra-productiviste
Pour les apiculteurs présents, la réintroduction de néonicotinoïdes dans l’agriculture conventionnelle, signerait la reprise d’une spirale de la mortalité inquiétante pour la profession, synonyme d’un retour en arrière : « le projet de loi DUPLOMB n’est qu’un copier-coller des revendications de la FNSEA et des JA présentées le 29 août dernier. Elle porte une vision de dérégulation visant à affaiblir les règles qui encadrent depuis vingt ans l’usage des pesticides et les mesures environnementales qui encadrent le secteur agricole… ».
Pour Jean-Charles FAUCHEUX, paysan meunier de Lucy-sur-Yonne et l’un des porte-paroles de la Confédération Paysanne du département, cette loi ne se contente pas de réhabiliter les néonicotinoïdes, elle remet en question dix ans d’interdiction fondés scientifiquement et favorise un modèle agricole ultra-productiviste au détriment de l’agriculture paysanne : « C'est maintenir des fermes et des filières dans une dépendance économique qui les empêche de faire évoluer leurs pratiques au seul profit de l'agro-industrie. En dix ans, la recherche et les investissements pour développer les alternatives déjà existantes et accompagner les producteurs n'ont pas été à la hauteur… ».
Également dénoncé par le syndicat paysan, l’article 3 du texte, visant à relever le seuil des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ou comment, en langage moins technocratique, augmenter la taille des exploitations avant qu’elles ne soient soumises à des contrôles environnementaux : « un dispositif qui ne va pas favoriser le renouvellement des générations. Pour nous, l'avenir de l'élevage passe par l'installation de fermes partout sur le territoire et non leur concentration sur des territoires déjà denses. Pour cela, les éleveuses et éleveurs ont besoin de revenus, de soutien dans l'exercice de leur métier, de prix garantis, d'outils d'abattage localisés et non de dispositions pour faciliter la production animale industrielle ».
Des pays pas tous logés à la même enseigne en Europe
Mais soutenir une nouvelle autorisation des néonicotinoïdes, c’est aussi en assumer les risques sanitaires pour la population, à commencer par ceux qui les utilisent et l’élue écologiste Florence LOURY s’en émeut : « Depuis de nombreuses années, la communauté médicale et scientifique alerte les autorités publiques pour dénoncer les risques liés à leur usage, des liens clairs ont été établis entre les pesticides et des pathologies graves dont certains cancers, des maladies dégénératives ou des troubles chroniques… ».
Affirmant que la réintroduction de substances dont la dangerosité est reconnue, « serait une décision irresponsable. Il s’agit ici de défendre la santé publique et la prévalence de la science sur la démagogie… ». Pour l’ancien président du syndicat apicole, Alain BARON, la diminution du nombre d’abeilles ne serait pas non plus sans conséquence pour le monde agricole : « beaucoup de cultures dépendent directement de la pollinisation et avec le retour de certains pesticides, les agriculteurs ne se tirent pas une balle dans le pied, mais dans les deux pieds ! ».
Reste qu’aujourd’hui, les pays en Europe ne sont pas tous logés à la même enseigne, entraînant de fait une distorsion de concurrence. Si certaines molécules, dont l’acétamipride, au retour annoncé, sont interdites depuis une dizaine d’années en France, leur usage est autorisé partout ailleurs, comme en Allemagne et en Belgique, pour ce qui est notamment des cultures betteravières. Cherchez l’erreur ! Pour autant, les intérêts économiques doivent-ils prendre le pas sur les enjeux environnementaux et de santé ? Le vote agricole n’est pas négligeable et ce n’est sans doute pas un hasard si à un an des municipales et à deux ans des prochaines présidentielles, un sénateur LR, proche de Laurent WAUQUIEZ, éleveur de profession et ancien président des Jeunes Agriculteurs de aute-LoireHHaute-Loire, propose un texte de loi directement inspiré des syndicats majoritaires que sont la FNSEA et les JA… Certains politiques ont déjà fait leur choix : on se souvient des propos de Nicolas SARKOZY, au Salon de l’agriculture en 2010, « l’environnement, ça commence à bien faire ! ». En campagne pour sa réélection, le 16 avril 2022, Emmanuel MACRON s’était pour sa part voulu prophétique : « ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas… ». On connaît la suite !
Dominique BERNERD