« On se moque des agriculteurs ! ». C’est en synthèse la seule explication qui vaille pour justifier l’action revendicatrice menée par les adhérents de la Fédération départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) et des Jeunes Agriculteurs (JA) de l’Yonne, jeudi dernier, devant les grilles du bâtiment préfectoral à Auxerre. Une soixantaine de représentants de la filière, dans un esprit bon enfant, sont venus déverser avant de les étaler des ballots de paille sur la place, lui donnant un air de comice agricole ! Avec en sus, l’accrochage sur le fronton de l’édifice d’une grande banderole noire au message tellement révélateur de l’ambiance actuelle…
AUXERRE : Le manque de respect. La trahison des députés (et en l’occurrence plutôt ceux teintés de vert et de rouge), autant de raisons qui ont fait descendre dans la rue les professionnels de la filière agricole en colère, jeudi en début de soirée, aux alentours de 20 heures, place de la préfecture. Plusieurs tracteurs et engins de chantier, des remorques chargées de ballots de paille, des pick-up garnis de matériel pour pouvoir les répandre aux quatre coins du site choisi par les manifestants, des banderoles de belle dimension aux inscriptions colorisées et explicites (« Stop aux trahisons ! »), et des femmes et des hommes, courroucés par ce nouveau tour de passe-passe de la sphère politique hexagonale, convergent en cette fin d’après-midi vers le point névralgique de la capitale de l’Yonne.
A côté de la cathédrale Saint-Etienne et face à la grille ouvrant vers la préfecture et les bureaux du Conseil départemental, les protestataires eurent tout le loisir « d’aménager » consciencieusement l’endroit à leur guise sous le regard scrutateur des forces de l’ordre, rassemblées dans un angle de la place. Discrète mais présente en cas de débordements qui n’arrivèrent jamais, fort heureusement.
De son côté, Damien BRAYOTEL, président de la FDSEA 89, donne, les pieds dans la paille qui recouvre déjà l’asphalte de la place, des explications aux journalistes, venus l’interroger sur la nature de cette manifestation : « C’est insupportable ! Déjà l’an dernier, notre mouvement avait bloqué les autoroutes pendant un long moment de manière assez sage. Mais, là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, avec l’accumulation de normes et de contraintes, sans jamais en enlever. Il y a même des réglementations qui se contredisent : c’est du grand n’importe quoi ! ».
« Nous, autres, dans l’agriculture, on a des valeurs et on s’y tient ! »
En arrière-plan, c’est du pain bénit pour les équipes de nos camarades de France 3, plusieurs agriculteurs façon pack de rugby poussent ensemble et de manière coordonnée un énorme ballot de paille d’une remorque, avant de l’éclater à l’aide de fourches juste au pied de la grille préfectorale. L’atmosphère est joyeuse et chacun visiblement y prend un réel plaisir. Pour autant, il n’y a aucune casse à déplorer.
« On dit stop ! Il faut arrêter tout cela, continue Damien BRAYOTEL, il faut redonner du revenu aux agriculteurs et simplifier les choses au lieu d’empiler les normes à répétition ! ».
En 2024, les agriculteurs avaient eu l’impression d’être entendus. Obtenant des avancées positives sur certains points fondamentaux et des promesses du Premier ministre de l’époque, Gabriel ATTAL qui s’était engagé à les tenir. On connaît la suite entre son départ soudain de Matignon et la fameuse dissolution décidée par le Président de la République, au sortir des européennes.
Au moment où la loi DUPLOMB se discute dans l’hémicycle du Palais Bourbon, les deux fédérations agricoles (FDSEA et JA) exigent que l’Etat respecte sa parole et que les amendements déposés par les députés de l’extrême gauche et de l’écologie ne viennent pas tout remettre en question. « Ils veulent tout casser et revenir en arrière, on ne peut pas supporter ça ! ».
A ce sujet, Damien BRAYOTEL est très clair : « nous dans l’agriculture, on a des valeurs quand des engagements sont pris ! Un engagement, ça se respecte et on le tient ! ».
Les manifestants ont profité de cette tribune visuelle et publique sur l’une des places du chef-lieu départemental pour exiger « la levée immédiate des entraves ».
Puis, Damien BRAYOTEL renchérit : « nous subissons déjà de plein fouet les effets du changement climatique, les fluctuations des marchés, des importations de marchandises qui ne respectent aucune réglementation européenne et que nous autres nous devons appliquer, sans compter les conséquences d’une guerre commerciale voulue par les Etats-Unis, désireux de casser les prix. On nous empêche de nous adapter en nous ôtant les outils nécessaires à notre évolution… ».
Il cite à titre d’exemple le stockage de l’eau, au centre des préoccupations actuelles. « On sait très bien que le stockage de l’eau est un sujet délicat, car il y a des moments, il y en a de trop et d’autres, pas assez. Il faut gérer cela de manière collective et raisonnée. Il n’y a pas d’agriculture sans eau ni de biodiversité sans eau. On garde de l’eau, on évite qu’elle se jette trop vite dans la mer, c’est forcément bénéfique pour tout le monde… ».
Un échange nourri avec le préfet Pascal JAN
Est-ce le début d’un nouveau mouvement contestataire qui pourrait gagner dans les prochains jours l’ensemble du pays ? Le président de la FDSEA 89 reste circonspect. « Nous avons besoin de cette loi DUPLOMB et nous en dénonçons les modifications importantes apportées par une frange des députés, explique-t-il, ce texte est la résultante des manifestations organisées partout dans le pays en 2024. C’est donc la parole de l’Etat, derrière. Si la parole de l’Etat n’a plus de valeur, notre façon de faire du syndicalisme qui est de négocier avec les gouvernements, ne serait plus possible : comment fera-t-on à l’avenir ? ».
Un fil qui est fort heureusement maintenu avec la préfecture de l’Yonne. Si la secrétaire générale et sous-préfète d’Auxerre Pauline GIRADOT a assisté l’après-midi même à l’assemblée générale de la FDSEA et à ses travaux, le préfet Pascal JAN, quant à lui, a pu discuter longuement (plus de soixante minutes aux alentours de 21 heures) avec les représentants de la FDSEA et des JA, sur une place qui prenait des allures de champ de foire, avec cette paille omniprésente.
Toutefois, Damien BRAYOTEL prévient : « on est toujours ouverts à la discussion mais en l’état, ce sont les députés et le gouvernement qui doivent se reprendre sur ce dossier. Nous ne sommes pas des extrémistes et on ne demande pas la Lune : nous demandons juste d’avoir les mêmes moyens de production que nos voisins européens. On a une politique agricole commune et nous devons avoir les mêmes droits que les autres… ».
Pas d’autres actions de ce type ne sont prévues dans l’Yonne dans l’immédiat, sauf la mobilisation des représentants de la FDSEA (FNSEA) et des JA à Paris devant l’Assemblée nationale cette semaine pendant toute la durée des débats sur cette loi DUPLOMB. Une action synonyme de poursuite du combat…
Thierry BRET