L’exercice est toujours suivi avec beaucoup intérêt. Normal que les chefs d’entreprise et autres férus de l’économie s’y intéressent de près : ce rendez-vous régulier proposé par le directeur départemental de la Banque de France de l’Yonne fourmille de renseignements précieux, donnant le pouls et l’état de santé de l’économie régionale et départementale. Avec ses indicateurs, ses statistiques, ses projections, ses analyses…Un nécessaire tableau de bord que les milieux institutionnels ne manquent pas de consulter. Entre bilan et perspectives, Xavier DUALE offre la réelle vision de notre territoire sur ses grands pans d’activité…
AUXERRE : Serait-ce un exercice à consonance roborative ? Pour mieux redonner le moral et le punch à des entrepreneurs qui auraient un peu de vague à l’âme avant d’entamer une nouvelle année d’activité ? En tout cas, le moment est suivi avec beaucoup d’attention. Une salle de réunion, sise dans l’enceinte du bâtiment « Aux’R Green Lab », à la fréquentation bien garnie. Des visages connus et reconnus de la vie institutionnelle et économique de notre territoire qui n’hésitent pas à se munir d’un petit carnet afin de prendre des notes. Il est vrai que la parole de Xavier DUALE est plutôt recherchée dans le landerneau ! Lui qui possède ce sens subtil de l’analyse lors de ces présentations régulières des études de conjoncture régionale, élaborées par la maison qui l’emploie, la Banque de France ! Que ce soit à l’Ibis Style ou dans cet antre géré par la Chambre de Commerce et d’Industrie, l’orateur possède la même verve, empreinte de pédagogie, pour mieux distiller de l’information précise avec moult commentaires.
Durant une quarantaine de minutes, Xavier DUALE (le « e » se prononce é !) déroule ses slides, demeurant debout face à l’assistance pour apporter la moindre explication justifiant ici le recul d’un secteur d’activité, là expliquant la hausse d’un taux directeur. Du bel ouvrage, au bout du compte, réalisé avec passion et sans temps mort ! L’invité du jour n’est autre que le président du Tribunal de Commerce d’Auxerre, Pascal BAILLY. Un habitué de ce genre d’exercice oratoire qu’il affectionne puisque cela lui permet de mettre en lumière la vénérable institution qu’il représente. Désormais, elle se nomme le TAS : le Tribunal des Activités Economiques, puisque la capitale de l’Yonne a été retenue à l’instar d’une douzaine de villes en France pour obtenir cette nouvelle et élogieuse appellation dont il vante les mérites en termes de réelles compétences. Cocorico, donc !
Un regard macro-économique sur l’année 2024
En guise de hors d’œuvre, notre maître de cérémonie pose le constat de l’actualité économique en s’intéressant à l’international. Le bilan 2024 est synonyme de croissance positive, notamment avec des locomotives que sont la Chine (plus généralement l’Asie) et les Etats-Unis. Mais, la zone euro ne suit pas la même tangente. Celle-ci subit les insolents résultats des pays émergents et ce depuis 2023. Côté PIB, la planète se situe à 3,2 (la France est à 1,1), pas de quoi être enthousiaste au niveau dynamisme. Les activités de service ne sont guère réjouissantes à l’échelle mondiale.
Evoquant l’inflation et sa courbe descendante, Xavier DUALE se veut plutôt positif : « elle est solide au niveau tendance avec une différence entre la zone euro et la France, cela s’explique par la présence des boucliers tarifaires sur l’énergie. Le pic d’inflation en zone euro était de 10,6 % en 2022 alors que la France se limitait à 7,3 %... ».
Sans perdre sa vigilance, il semblerait que le combat mené par l’Hexagone contre l’inflation soit en passe d’être gagné pour le spécialiste de la Banque de France. Ce sont les services où l’inflation est la plus persistante. La France se situant à date à 1,8 %, dans les curseurs exigés par la Banque européenne.
Glissant ensuite sur la politique monétaire, l’interlocuteur insista sur la dizaine de hausses successives des taux directeurs, puis cinq baisses depuis le mois de juin. Une tendance baissière qui pourrait continuer en 2025 mais cela dépendra aussi de l’évolution du contexte géopolitique international plutôt trouble. Quant à la dissolution, elle aura quelque peu perturbé les marchés et les esprits. Les taux d’intérêt fléchissent actuellement ce qui facilite les prêts pour les entreprises.
La consommation privée et la demande publique demeurent des relais de croissance importants en 2024 pour le PIB, ainsi que le commerce extérieur. Alors que l’Allemagne entame une seconde année de récession…mais le nouveau chancelier promet de redresser la barre.
Un enseignement significatif avec la conjoncture régionale
Puis, le directeur de la Banque de France 89 fit un rapide focus sur le suivi de la conjoncture régionale. Chaque mois, 8 000 entrepreneurs de l’Hexagone sont interrogés par les services de l’établissement bancaire dont 620 en Bourgogne Franche-Comté et 75 dans l’Yonne.
Première observation : elle est imputable aux inattendues élections législatives de juin 2024 qui a dopé le pic d’incertitude des entrepreneurs de notre contrée. Un vrai choc pour les milieux économiques dont il faudra plusieurs mois de digestion avant de s’en remettre. Et c’est sans compter l’absence de budget durant de nombreuses semaines…
Deuxième observation : le secteur de l’industrie connaîtra une baisse d’activité assez forte en décembre 2024. L’effet reprise se fera en janvier, sans être pour autant euphorique.
Troisième observation : elle concerne les services marchands. Ils se situent dans une zone, certes, positive mais peu dynamique. Hormis les travaux publics alors que le bâtiment est plutôt en mode dégradé. Grosse problématique : les carnets de commande ne se reconstituent pas et l’Yonne n’y échappe pas, avec un point de rupture très net sur ce secteur.
Les crédits immobilisés restent actifs avec une évolution encore positive, l’octroi de nouveaux crédits est supérieur au niveau des remboursements. Tandis que les créations d’entreprises sont très marquées. Dans l’Yonne, en 2024, ce sont plus de 4 100 entreprises créées de toute taille, avec un effet de micro entreprises nouvelles très important. Les défaillances de sociétés dans l’Yonne en 2019 (c’était avant la COVID) correspondaient à la plus haute progression de Bourgogne Franche-Comté. Plus de 300 entreprises en 2024 (305) intègrent cette même catégorie : « c’est du jamais vu, souligne Xavier DUALE. Toutefois, la part de l’emploi est assez préservée, malgré tout, grâce aux EPI (petites entreprises)... ».
Construction et industrie en berne en 2024
Autre moment fort de cette intervention, le rendu de l’enquête régionale, effectuée auprès de 1 258 chefs d’entreprise de Bourgogne Franche-Comté, portant sur l’atterrissage 2024 et les perspectives 2025.
Sur l’industrie, la baisse du chiffre d’affaires est de 1,8 % en 2024. Tandis que la baisse en volume équivaut à 2,5 %. Un indice négatif pour ce secteur avec l’export qui baisse également. « La situation est la suivante, ajoute l’orateur, les volumes sont en baisse sur tous les secteurs, compensés parfois par des effets prix, ce qui fait monter le chiffre d’affaires, ce qui est moins vrai pour l’agro-alimentaire et les autres produits industriels. Dans les trois sous-secteurs principaux, le bois-papier, les produits métalliques et le caoutchouc/plastique, on observe des baisses remarquées en volumes et chiffre d’affaires… ».
Un véritable coup d’arrêt. Pour les effectifs, ils chutent également sans surprise. Sauf l’agro-alimentaire et les équipements. Mais, le matériel de transport enregistre une diminution assez conséquente. Les autres secteurs restant en quasi équilibre.
Pour les secteurs marchands, le chiffre d’affaires est en baisse de 1,1 %. Mais, l’effet incertitude a contribué à marquer un coup de frein sur ce secteur. Le transport et l’entreposage subissant le contrecoup de cette mauvaise conjoncture…
Les métiers de la sécurité et service au bâtiment observent de sérieuses diminutions des effectifs. « Ce n’est pas très réjouissant, constate Xavier DUALE, quant au tourisme et loisirs, on perd – 5,7 % en chiffre d’affaires et – 8 % en volume, pour une baisse des effectifs de – 3 % après une année 2023 dynamique… ».
La construction est sur un niveau de baisse avec un quasi équilibre au niveau des prix. Les TP sont à l’équilibre à 2024 mais les autres secteurs, dont le gros œuvre, accusent une nette chute de leur activité…
Les investissements connaissent également un repli, notamment sur les secteurs industriels et services marchands. « On note néanmoins des volontés d’investissements sur les activités construction, tourisme et loisir, ajoute Xavier DUALE. La rentabilité des entreprises est stable à hauteur de 70 % sur l’industrie alors que 84 % des chefs d’entreprise estimaient qu’elle le serait en début d’année 2024. Sur les services marchands, on se situe à 68 % au lieu des 84 % espérés en début d’année… ».
Une Bourgogne Franche-Comté à la traîne au niveau de l’Hexagone
Les effets sans doute tangibles de la dissolution ? Toutefois, l’inquiétude est persistante pour la rentabilité des entreprises évoluant dans les domaines de la construction et du tourisme. Quant aux délais de paiement, ils sont en hausse là aussi pour le secteur de la construction.
« C’est un vrai point de vigilance, confirme le directeur de la Banque de France de l’Yonne toujours aussi pédagogue, mais au niveau global par rapport à l’Hexagone, on s’aperçoit que la Bourgogne Franche-Comté est la seule région à avoir les trois secteurs en négatif en termes de chiffre d’affaires : l’industrie à – 1,8 %, les services marchands (1,1 %) et la construction qui se situe à – 0,2 %... ».
Loin de l’Occitanie, à titre d’exemple. Sans doute, avec l’exposition accrue de l’industrie automobile orientée à la baisse au niveau de ses activités, la Bourgogne Franche-Comté pâtit de cet état de fait.
Alors, faut-il être pessimiste pour l’année qui nous concerne ? Réponse sur deux points de notre intervenant du jour : « une chose est certaine, l’inflation va être maîtrisée ; quant au risque de récession, il n’est pas identifiable en France à l’heure actuelle… ».
Toutefois, il faudra attendre la prochaine note de conjoncture en mars pour affiner, voire corriger cela.
Xavier DUALE n’a pas occulté le sujet concernant l’évolution des salaires. « Il y a un gain du pouvoir d’achat du salaire moyen plus que du recrutement dans cette période de croissance molle, avec un taux d’épargne qui reste au-dessus de la période avant COVID de 3,5 points… ».
Attention aux secousses venues de l’autre côté de l’Atlantique
Question en phase avec cet item ? Comment mobiliser cette épargne pour stimuler la croissance ?
« Plusieurs réflexions existent aujourd’hui, affirme Xavier DUALE, mais il n’y a pas encore de réelles solutions pour irriguer la croissance… ».
Côtés perspectives 2025, le chiffre d’affaires de l’industrie se situerait à plus de 1,5 % et une stabilité de la rentabilité. « Ce n’est pas ultra dégradé, commente l’orateur, mais ce n’est pas dynamique non plus ! On reste dans le manque de visibilité et d’incertitude. Les services marchands seraient quant à eux à plus de 1,9 % de chiffre d’affaires, avec des effectifs quasi maintenus. Le tourisme devrait être stable. La baisse serait envisageable pour la construction, et la chute des effectifs dans le gros œuvre, mais les rentabilités resteraient préservées… ».
Présentant un slide de la carte de France, on s’apercevra en y regardant de plus près que la Bourgogne Franche-Comté ne brillera pas par son extrême dynamisme en 2025. Aucune envolée notoire à attendre cette année, donc, alors que la dette publique française se situera à 117 % du PIB ! Une dette détenue par 50 % de pays étrangers. Le taux de chômage reste maîtrisé, en revanche.
Mais, attention, tous ces éléments n’ont pas encore intégré la hausse des droits de douane de 25 % et la furieuse envie de faire plier l’Union européenne du nouveau président Donald TRUMP, investi fin janvier. Gare aux sérieuses turbulences qui viendront de l’Atlantique et s’abattront sur le Vieux continent !
Thierry BRET