La mort du pape François laisse un trop-plein de candidats potentiels ou « papabili ». Les bookmakers s’en donnent à cœur joie depuis une quinzaine de jours et chacun a ses favoris : Pietro PAROLIN est donné à 3,5 /1 et le Philippin Luis-Antonio TAGLE à 4,5… Mais au-delà des pronostics, le résultat pourrait surprendre et déboucher sur une crise au sein de l’Eglise catholique…
TRIBUNE : Il faut bien l’admettre mais le pape François était un personnage plutôt controversé au sein de l’Eglise catholique. S’il a fait l’unanimité dans le monde, et était considéré comme le pape des pauvres et des émigrés, il a poussé des réformes progressistes, voire bloqué les initiatives et pratiques des conservateurs. Très marqué par ses origines latino-américaines, il a donné une empreinte singulière à son pontificat long de douze années. Il a voulu faire de l’Eglise, une Eglise en phase avec son temps. Notamment par des prises de position singulières.
Il n’a jamais eu peur des possibilités de schisme (déclaration du 10 septembre 2011). Dans le même temps, des prélats américains veulent changer de pape et contestent même son élection et sa légitimité. L’archevêque Carlo-Maria VIGIANO (ancien nonce aux Etats-Unis) accuse le pape d’avoir protégé un cardinal américain accusé de pédophilie. Ces épisodes s’apparentent à une tentative de putsch !
Un pape qui surprend et choque la curie
Il bouscule en permanence le protocole, il aime le contact. Une attitude contestée par André Vingt-Trois, alors archevêque de Paris. Quelques jours après sa nomination, Sa Sainteté François se rend dans une maison d’arrêt de Rome, afin de laver les pieds de jeunes détenus (rituel du jeudi Saint). Il rejette les ors et boiseries des appartements habituels pour s’installer dans le modeste logement de la résidence Sainte-Marthe. Il veut « une Eglise pauvre pour les pauvres ». En déplacement à Lampedusa, il stigmatise les politiques dans leur approche des migrants et les accuse d’avoir « perdu le sens de la responsabilité dans la globalisation de l’indifférence ». De nombreux dirigeants politiques ont répliqué qu’il n’appartenait pas au pape de dicter leur conduite et de prendre des positions à caractère politique !
Concernant la tradition, le pape Jean-Paul II avait tenté, avec succès, une ouverture vers le courant traditionaliste et schismatique de Mgr LEFEBVRE. Pour Jean-Paul II, les prêtres qui souhaitent célébrer la messe en latin, dans la tradition avant Vatican II (rite Saint Pie X et messe tridentine), peuvent le faire à la condition de faire allégeance à Rome. C’est ainsi qu’est né la Fraternité Saint-Pierre. Le pape François a mis un coup d’arrêt à la messe en latin et demandé fermement aux évêques de l’interdire dans leur diocèse, ulcérant au passage les clercs proches de la tradition. C’est ainsi que Mgr REY, évêque de Toulon, démissionnaire en janvier 2025, fut lourdement pénalisé par ses comportements. Ce dernier célébrait la messe tridentine une fois par mois, et autorisait les prêtres de son diocèse à ces pratiques ancrées dans la tradition. Rome le trouvait trop permissif, et en dehors des prescriptions (voire injonctions) papales. Dans la foulée, le pape lui demande de prendre sa retraite (prévue en 2027), mais l’homme refuse. Un casus belli impardonnable. En conséquence (représailles ?), nomination d’un évêque coadjuteur (évêque nommé par le pape et désigné comme le remplaçant d’un évêque sur le départ). Deux patrons pour diriger une même entité, cela fait désordre !
En juin 2024, le pape suspend toutes les ordinations du séminaire de Toulon, quinze jours avant la cérémonie… des faits qui ont eu raison de la volonté de Mgr REY en janvier dernier. J’ai eu le privilège de partager l’amitié de Mgr REY, un évêque qui a toujours souhaité qu’on l’appelle « mon Père » et non « Monseigneur » ! Sur le fond, le mal était fait, les ultra-conservateurs n’ont jamais pardonné à ce pape trop progressiste à leurs yeux. Des mesures considérées comme contraire aux fondements de l’Eglise catholique, mettant en rupture une partie des chrétiens...
Le pape François était-il le « pape noir » ?
J’ai œuvré aux côtés de feu Mgr BRINCARD, nommé par le pape « délégué pontifical » auprès des sœurs contemplatives de Saint-Jean. J’avais pour mission de redresser la gestion et les finances de prieurés regroupant 500 sœurs sur les cinq continents et en dissidence contre l’autorité ecclésiastique. Le problème avait usé trois papes, et comme à son habitude, François a tranché dans le vif avec autorité et intransigeance. Résultat, il reste une douzaine de sœurs…
Quand les prélats romains pourfendent les comportements autoritaires du pape François : à Rome, une campagne d’affichage sauvage accuse le pape d’hypocrisie. Après sa reprise en main de l’Ordre de Malte (en poussant à la démission le Grand Maître de l’Ordre), la révolte est à son comble. Le mécontentement des courants conservateurs prend la tournure d’une fronde publique. En effet, deux cents affiches anonymes apostrophent durement le pontife : « Tu as placé sous tutelle des congrégations, évincé des prêtres, décapité l’Ordre de Malte et les Franciscains de l’Immaculée, ignoré les cardinaux…mais où est ta miséricorde ? ».
Après enquête, les journalistes italiens ont conclu que l’organisation et le financement de la campagne d’affichage étaient le fait de prélats du Vatican… Le Tibre latin n’est pas non plus un long fleuve tranquille !
Durant les douze années de son travail, le pape a souvent frôlé le schisme. La crise existentielle de l’Occident à ne pas mourir fut prégnante et ignorée par Sa Sainteté François. Le pape a ainsi martelé qu’il fallait une place à toutes les minorités, ethniques, sexuelles… S’ouvrir au wokisme, à l’homosexualité : « je serais qui, moi, pour les juger ». Si pour les plus critiques (Michel ONFRAY et Eric ZEMMOUR), le pape François incarne « l’Antéchrist », remarquons qu’il est jésuite, que le patron des jésuites a le titre de « général », et que son surnom fut de tout temps : « le pape noir »…
Quels sont les papes possibles ?
Les médias citent souvent le cardinal Robert SARAH. Je l’ai côtoyé lors de l’ordination de quatorze prêtres (Communauté de Saint-Jean) à Ars et au cours du repas qui suivit. Ce prêtre, papabile, a peu de chance d’être élu mais il est soutenu par les conservateurs. Traditionnaliste, enraciné dans la culture et les traditions de sa Guinée natale, il rejette les ouvertures possibles de l’Occident vers les cultures des pays musulmans, et fuit le communisme. Il considère le wokisme et l’homosexualité comme un péché. Ce n’est pas un doctrinaire, j’ai rencontré un homme rempli de sérénité et de foi, un prêtre priant…
On évoque parfois les cardinaux français. Parmi les plus cités, Mgr AVELINE et Mgr BUSTILLO (évêque d’Ajaccio). Toutefois, il n’existe pas de courant capable de les porter. Si l’on en croit les rumeurs qui circulent dans les couloirs du Vatican, il existerait un véto des cardinaux allemands pour toute accession d’un français… Notons que les Allemands sont les pourvoyeurs de fonds les plus importants pour Rome. Quant à Mgr BARBARIN, auprès duquel je partage une longue amitié, il n’a aucune illusion à se faire. Une incapacité notoire à toute forme de diplomatie et son surnom de « Cardinal Bulldozer », lui valent assez peu de crédit auprès de ses collègues… De plus, accusé de ne pas avoir dénoncé des prêtres pédophiles de son diocèse, et même si la justice l’a blanchi, il a démissionné de ses fonctions au diocèse de Lyon. A cette occasion je lui ai écrit : « Ta première intervention auprès des journalistes fut de dire que tu ne pouvais rien savoir puisque pas encore nommé à Lyon. Certes, mais tes premières intentions de prêtre devaient être tournées vers les victimes et la compassion que tu avais pour eux… ».
Cerise sur le gâteau : le Président MACRON a fait une entrée remarquée dans le concert des pré-conclaves ! Les journaux italiens dénoncent les pressions que le locataire de l’Elysée ferait auprès de certains cardinaux. Il appuie des candidatures, et surtout, écarte Mgr SARAH ! Tous crient au scandale !
Les rencontres du pré-conclave ont pour objet d’affirmer, pour chaque camp, sa position dogmatique et ses intentions de vote. Les débats sont passionnés, parfois virulents et semblent prendre la direction d’une impasse. Nous sommes au bord d’une fracture avec la ligne du pape François, et d’une rupture schismatique. Une possibilité : l’élection de…personne ! Dans ces conditions, aucune fumée blanche ne sortira. Le pire scénario pour l’Eglise catholique mais tout à fait possible…
Humour chrétien : « Est-ce que c’est vrai mon Père, que lorsqu’on pose une question à un jésuite, il répond toujours par une autre question ? Qui vous a dit ça mon fils ? ».
Jean-Paul ALLOU
Nota Bene :
Jean-Paul ALLOU a consacré une part importante de sa vie dans l’Eglise. Il a notamment été animateur liturgique, servant de messe, célébré des funérailles, assuré des préparations aux baptêmes, aux mariages… Il connaît bien la gestion des paroisses, des diocèses, des congrégations religieuses, et approché les finances de l’Eglise. Il possède à son actif, dix ans de théologie et de droit canon. Dans ce cadre, il a côtoyé de nombreux évêques et cardinaux…