Depuis des lustres, nous sommes soumis aux décisions, voire aux dictats, américaines. Les bouleversements se déroulant aux Etats-Unis depuis des années arrivent immanquablement en Europe et en France. Un tel cordon ombilical nous empêche parfois d’agir en toute conscience. Les USA ont toujours fasciné par leur histoire et leur mentalité de cow-boy, le revolver prêt à défourailler, la bouteille de whisky au bord des lèvres, un drapeau pour emblème et la statue de la Liberté (merci la France !) pour signe de reconnaissance…
TRIBUNE : L’Amérique, d’abord, fut toujours le crédo américain. Et Donald TRUMP en a fait sa devise ! Les Américains ne font aucun complexe vis-à-vis de leur amour de l’argent. Ce pays est riche de légendes qui parlent d’hommes et de femmes, partis de rien et arrivant à bâtir d’immenses fortunes. Le revers de la médaille existe aussi : la crise boursière de 1929 a généré de nombreux suicides de banquiers et financiers pour cause de faillite.
Pour avoir côtoyé des Américains lorsque j’étais consultant, je fus témoin de leur désir de s’affirmer en refusant de parler français. Même s’ils savaient pratiquer la langue de Molière. Pas de doublage des films étrangers, seul compte l’anglais. Sans doute, le complexe de la vieille Europe ! Une revanche, sans doute. Une équipe de télévision française part aux Etats-Unis, afin de filmer le chanteur français qui doit interpréter la chanson « Liberté », dans le cadre des fêtes du centenaire de ladite statue offerte par la France. Arrivée à New-York, les douaniers interdisent l’introduction du matériel : « Si vous souhaitez réaliser le reportage, vous devez obligatoirement louer le matériel sur place ». Un protectionnisme au relent de gains à tout propos. Nous sommes encore dans cette ambiance, avec la stratégie de Donald TRUMP et son « Amérique d’abord ! ».
Une expérience significative avec G.E.
G.E. (Général Electric) vient de racheter une filiale financière française et je dois assurer la formation des cadres commerciaux. 21 heures, un coup de fil : « bonsoir, Barbara, je suis la responsable du programme de formation. Je dois vous voir impérativement demain à 10 heures ! J’ose dire : vous avez de la chance, je suis disponible. Non, c’est vous qui avez de la chance répondit l’effrontée ! Le lendemain, elle cadre le projet pédagogique : « vous n’aurez pas une semaine d’animation, comme prévu, mais trois jours, vous pouvez le faire ? Sous-entendu, ça passe ou on se passe de vos services… ». Elle enchaîne : « de plus, nous avons un double objectif pour cette formation, d’une part, former nos commerciaux aux risques financiers de leurs clients et d’autre part, faire que le service administratif connaisse mieux la force de vente. Chacun doit apprendre les contraintes des parties ! ».
C’est un peu compliqué, en plus j’ai trois jours. En conséquence, il faudra arrêter la formation initiale vers 18 heures, leur offrir un rapide dîner, reprendre à 19 heures et boucler la formation vers 23 heures. Je souhaite que vous m’adressiez le programme de cette seconde formation.
« J’attire votre attention sur le fait que nous sommes en France, faire travailler le personnel sur une journée de 14 ou 15 heures, vous pouvez vous heurter aux syndicats, et ça ne peut se faire que sur la base du volontariat. En plus, pour moi, ce ne sera pas au même tarif ! Un mauvais réflex franchouillard ! Je ne vous parle pas de prix mais de programme. De toute façon ils seront tous volontaires ! ».
La formation a eu lieu dans les conditions fixées par la disciple du dieu Ploutos ! La suite est tout aussi croustillante. J’arrive le jour J, les stagiaires sont bien là. Une délégation de l’entreprise m’accueille : le patron de la filiale en tête. Son discours me montrera qu’un patron américain ne feinte pas, ne compose pas avec ses troupes pour ménager telle ou telle sensibilité. Je le cite : « Mesdames, Messieurs, vous allez recevoir une formation indispensable pour mesurer votre capacité à éviter les situations contentieuses. Nous sommes ravis d’accueillir Monsieur ALLOU. Nous l’avons choisi, car dans son domaine, c’est le meilleur ! Fermez le ban. Magique, mon intervention est servie sur un plateau, justifiée et le boss ferme la porte à une critique éventuelle. Le lendemain, la délégation est encore là ? Non, prévu au programme, ils tirent tous des mines d’enterrement.
« Mesdames, Messieurs, vous avez tous appris la terrible nouvelle tombée cette nuit (c’est clair, l’entreprise a appris le décès d’un personnage) ». Visage interlope de mes braves stagiaires. Le boss reprend : « Cette nuit, nous avons perdu la première place à la bourse de New-York. Aujourd’hui, un seul combat : reprendre cette première qui nous revient. Je dois rappeler que notre objectif, c’est de réaliser des bénéfices. Les bénéfices, c’est non seulement bon pour les actionnaires mais c’est surtout excellent pour vous : vos salaires, vos primes, votre retraite, et vous êtes aussi des actionnaires de l’entreprise… ». Incroyable, mais un discours limpide, affirmant, sans fard, l’objectif poursuivi par l’entreprise.
Maintenir de bonnes relations en gardant notre vigilance
Cette expérience montre une mentalité dont les Américains n’ont pas à rougir mais qui prend notre culture à rebrousse-poil ! Le DG de G.E., m’a précisé, qu’il fallait toujours nommer un Américain comme responsable d’une filiale. Raison majeure : un Français se croit obligé de bousculer violemment les salariés, s’imaginant que dans la mentalité américaine on est plus proche de la maltraitance organisée que de la berceuse… Et de conclure : « Jamais, je n’ai viré un collaborateur parce qu’il n’a pas atteint ses objectifs. Cela signifie qu’il n’a pas vu qu’il était dans le rouge, et c’est toute une chaîne qu’il a mise à mal. Il y a toujours des circonstances qui font que l’objectif assigné ne sera pas dans le résultat attendu… ».
Pas de jugement hâtif dans cette culture de l’argent, même s’ils dépensent plus en whisky qu’en livres. Demander à un Américain ce qu’il vaut, il répondra 200 000 dollars (son revenu annuel). La même question posée à un Français : ce sera Science Po, ENA, Polytechniques…
Nos amis, outre-Atlantique, ont tout de même marqué leur histoire par un génocide, l’esclavage et une effroyable guerre civile. Ils ont aussi coloré l’aventure du monde par leur hégémonie financière, la volonté de faire de l’argent par tous les moyens et le protectionnisme. Il y eut cependant des hommes marquants comme Abraham LINCOLN et tant d’autres humanistes et savants, des comportements sans ambiguïté, francs et directs…
On doit maintenir de bonnes relations avec l’Amérique, mais garder notre vigilance, sans oublier que si les Américains sont toujours prêts à aider la veuve et l’orphelin, c’est uniquement s’ils sont jugés dignes et de bonnes mœurs !
« L'histoire de la plupart des pays a été celle de majorités piétinant des minorités dix fois plus nombreuses... ». Une citation d’Oliver WENDELL-HOLMES à méditer !
Jean-Paul ALLOU