Qu’il s’agisse de nos dirigeants politiques ou de toute autre forme d’autorité, la confiance n’est plus à l’ordre du jour dans nos mentalités. Les citoyens français présentent les caractéristiques d’un pays où la méfiance s’installe et est actuellement la plus forte si l’on en croit l’étude menée par « World Value Survey ». L'enquête mondiale sur les valeurs (WVS) est un projet international d'enquêtes sur l'évolution dédites valeurs et des croyances autour du monde…
TRIBUNE : Le projet a été lancé en 1981 par Ronald INGLEHART qui a réuni avec Christian WELZEL un réseau international de chercheurs en sciences sociales. C'est l'un des plus grands projets d'enquête internationale par sondage, alors réalisé. Depuis, les spécialistes des sciences sociales et des sciences politiques du monde entier mènent cette recherche par des enquêtes nationales représentatives, visant à explorer les valeurs et les opinions, leur évolution dans le temps, et les impacts sur les plans sociaux et politique. Cette enquête est renouvelée tous les cinq ans. La dernière en date a interrogé 130 000 personnes dans 90 pays. Le « WVS » mesure, surveille et analyse le soutien à la démocratie, la tolérance envers les étrangers et les minorités ethniques, le soutien à l'égalité des sexes, le rôle de la religion et les niveaux de religiosité, l’impact de la globalisation, les attitudes à l'égard de l'environnement, l'éducation, le travail, la famille, la politique, l'identité nationale, la culture, la diversité, l'insécurité et le bien-être de l'individu.
Selon une enquête de 2022, même si le taux de pauvreté mondiale est passé de 40 % en 1981 à 8 % en quarante ans, l'écart irait en s'élargissant entre les valeurs occidentales et celles du reste du monde alors que la laïcité a beaucoup progressé dans les pays occidentaux, l'importance accordée à la religion serait restée relativement stable dans les pays orthodoxes, musulmans et d'Amérique latine. En même temps, le degré de confiance envers les étrangers a beaucoup baissé dans le monde musulman et en Amérique latine alors qu'il a augmenté dans certains pays d’Europe. Il a régressé dans d’autres.
Ces résultats pourraient faire douter de l'existence de valeurs universelles et laisser croire que les valeurs laïques et libérales ne sont pas plus universelles que les valeurs religieuses et le culte de l'autorité. Même si les valeurs séculières et de liberté tendent lentement à se répandre. Une autre enquête de 2023 montre d'ailleurs que pour beaucoup de musulmans, la religion est vécue de façon plus personnelle et moins inféodée à la politique. Ces études scientifiques vont à l’encontre du ressenti et montrent que les arguments des uns et des autres ne se fondent pas sur la réalité objective des faits mesurables !
La confiance et le Produit Intérieur Brut
En France, la confiance est structurellement faible. La confiance individuelle, mesurée par la question (« en général, faites-vous confiance aux gens ? ») demeure dans l’Hexagone systématiquement plus limitée que dans les pays comparables. C’est ainsi qu’à niveau de PIB par habitant, et performances démocratiques équivalentes, les Français manifestent un degré de confiance sociale toujours plus faible. La France est marquée par une érosion significative de la confiance politique qui affecte les institutions et les acteurs et le personnel politiques. Durant les dernières années, la France a connu des gouvernements durablement populaires avec Michel ROCARD, Edouard BALLADUR et Lionel JOSPIN. Le destin politique de ces trois premiers ministres laisse sceptique quant à leur destin électoral ! En résumé, la méfiance se développe lorsque la pauvreté augmente.
Les ambiguïtés de la confiance et de la méfiance
Depuis quelques années, nous marquons notre confiance vis-à-vis du personnel médical mais une défiance vis-à-vis des structures médicales : les structures capables de nous accueillir efficacement, les hôpitaux. Nous sommes confiants envers la police mais pas dans les structures capables de nous assurer la sécurité et nous protéger. Confiants aussi vers le personnel enseignant mais pas dans les institutions qui les encadrent. Nous assistons aussi à la méfiance des personnels de la police, du personnel médical et enseignant, de la justice, qui se plaignent du manque de moyens et de l’abandon de leur ministre de tutelle.
Précisément, tous se retrouvent sur la méfiance envers les « politiques » et le gouvernement. Ce sentiment de méfiance vis-à-vis du monde politique est aujourd’hui prégnant. Une exception : trois Français sur quatre font confiance à leur maire. Le maire n’est pas élu directement par les citoyens. On vote pour une liste qui va l’élire ensuite. On vote pour des femmes et des hommes qui inspirent la confiance, non pour la couleur politique ou l’étiquette (le plus souvent) et non pour un parti ! Beaucoup de maires se présentent « sans étiquette ». Les politiques publiques portent aujourd’hui atteinte aux intérêts des citoyens (réforme de la retraite, Mercosur, immigration…). La relation de confiance politique est prioritairement fonction du rapport entre performance de l’action publique et exigences politiques des citoyens. Le gouvernement semble incapable de résoudre les problèmes qu’il est supposé traiter et génère un sentiment de déception. Une défiance grandissante alimentée par une vie parlementaire instable et désordonnée, soumise aux partis politiques et sans majorité !
Aujourd’hui 70 % des Français ne font plus confiance à la politique. Notre perception des politiques publiques est nécessairement subjective et organisée autour du clivage extrême gauche et extrême droite. Les 50 % de Français qui ne bouclent pas leur fin de mois, restent en dehors de la subjectivité. Le clivage sert de ferment pour nourrir l’espoir de trouver les meilleures solutions.
Personne n’échappe plus au manque de confiance : les médias, les structures religieuses, les fournisseurs… Une déstabilisation permanente du citoyen est trop souvent ouverte à toutes les manipulations venant des extrémistes religieux et politiques…
Finalement, les Français sont peut-être inconsciemment royalistes
Avant la République, le roi devait solutionner tous les maux du peuple, même si nous n’attendons pas que le président guérisse les écrouelles, nous voulons qu’il solutionne tous nos problèmes. Les énarques et autres hauts fonctionnaires sont aussi inutiles que les aristocrates qui entouraient le roi et voulaient surtout préserver leurs privilèges. Avant la Révolution, le clergé pouvait influencer le roi, jouer les « bouffons du roi », rôle qui appartient aux médias aujourd’hui… Les mentalités évoluent difficilement et nous voulons toujours que nos problèmes soient réglés par un président omnipotent et omniprésent avec l’illusion de la démocratie.
Je sais que ces propos peuvent paraître outranciers mais ils ont juste l’ambition de faire réfléchir. Juste pour enfoncer le clou, de nombreux citoyens lisent la revue « Jour de France », qui fait plus rêver que « Le Monde » ou « L’Humanité », en nous parlant de la vie des rois, des princesses et des princes de ce monde…
« Quoique la royauté actuelle ne semble pas viable, je crains toujours qu'elle ne vive au-delà du terme qu'on pourrait lui assigner...». Extrait de « Mémoire d’outre-tombe » de Chateaubriand.
Paul GUILLON