Logiciels pour apprendre et autre progiciels, internet, réseaux sociaux, tutos papier, audio et vidéo, et surtout aujourd’hui, l’IA (intelligence artificielle) visent à nous apprendre un certain nombre de savoirs en se passant de la parole. Pour autant, la transmission des maîtres et des experts va-t-elle réellement disparaître ?
TRIBUNE : Depuis des temps immémoriaux, la « parole » faisait partie de la seule voix de transmission, celle des savoir-faire, de l’histoire, des traditions locales et familiales, et même de la religion. Les religions musulmanes et hébraïques sont au départ, liées à la tradition orale. Les textes seront écrits bien plus tard après leur naissance. Les chrétiens transmettront oralement à partir des écrits (évangiles et épitres de Paul de TARCE). L’apparition de l’imprimerie facilitera la formation sur les contenus théoriques.
Au coin du feu, le grand-père transmettait l’histoire de la famille, l’histoire de sa vie… La parole donnée était sacrée et nul ne pouvait la trahir. Certains sont persuadés qu’écrire l’information, c’est la tuer ! Raison pour laquelle certains secrets (d’Etat ou autres), dévoilés à tort, sont publiés dans des journaux populaires peu crédibles… Au Moyen-Age, avant les taxes, on réunissait les notables du village et le dialogue était le suivant : - « Moi Jean Dubois, je suis bien le propriétaire de la ferme dite « les Hauts Près » ? ». Et, les notables d’acquiescer. « Je vous présente Pierre Garnier. Il achète ma ferme pour 500 écus ». On se frappait dans la main et la vente était réalisée sans autre forme de procès !
Ce fondement de la tradition orale dans la création d’entreprise est toujours valable. Le principe d’ «affectio societatis » définit l'intention de s'associer. Il est l’élément indispensable lors de la création d'une société. Il traduit la volonté des associés, traduite oralement, de collaborer ensemble à l'exploitation de son objet. Les applications en droit sont importantes et dangereuses pour qui les ignore ! Lorsque Rome envahit la Gaule, cette nouvelle civilisation va progressivement imposer la primauté de l’écrit sur l’oral.
La transmission intergénérationnelle est-elle toujours essentielle ?
Les seniors ont le sentiment que les chaînes de transmission s’affaiblissent avec le temps, et que les jeunes vivent sur une planète très éloignée de la leur. Nos anciens éprouvent le besoin de préserver le lien, de transmettre les valeurs essentielles dont ils estiment être les dépositaires : le respect de l’autorité et l’ouverture à l’altérité. Cela répond aussi à une angoisse existentielle. On poursuit sa vie par ce que l’on dépose chez les plus jeunes, que ce soit des idéaux ou des recettes de cuisine. Les jeunes générations sont plus ambivalentes : elles n’ont aucune envie de recevoir des leçons de morale, mais restent friandes d’histoires du passé, de réflexions philosophiques…
Elles sont aussi demandeuses d’échanges intergénérationnels articulés autour du partage de savoir-faire, comme la cuisine, le bricolage ou le jardinage !
Quelles pistes pour assurer la transmission ?
Autrefois, la cohabitation intergénérationnelle était subie. Parents, enfants et aïeux habitaient ensemble, par tradition ou sans autre possibilité. Aujourd’hui, les familles se dispersent aux quatre coins de l’Hexagone ou de la planète : divorce, travail… Cette situation constitue des freins à la transmission, la rendant même impossible dans certains cas.
Il y va de la responsabilité de chacun : permettre aux plus jeunes de visiter les grands-parents afin qu’ils jouent leur rôle de courroie de transmission de la culture familiale. Lorsque juniors et seniors travaillent ensemble, dans une même entreprise.
Dans ce cadre, s’ajoute la transmission de savoir-faire et de l’expérience des plus âgés au bénéfice des plus jeunes. Ce n’est pas une relation à sens unique. Les plus expérimentés sont prêts à accueillir les apports de leurs cadets : la maîtrise des nouvelles technologies et des nouveaux processus. L’expérience n’a pas force de loi et les savants l’ont démontré. Mon père et mes aïeux, depuis la nuit des temps, ont témoigné : le soleil se lève chaque jour.
Pour autant, je ne peux en aucun cas, dire qu’il se lèvera demain, un autre jour ou éternellement… Avec la cuisine, on s’inscrit dans le partage du plaisir de faire ensemble et de manger. En transmettant leurs recettes, les anciens savent qu’ils vont laisser une trace.
Fin de la partie un
Paul GUILLON