Secrétaire nationale du PS en charge de la lutte contre l’extrême droite, Sarah KERRICH-BERNARD était l’invitée des socialistes icaunais, réaffirmant lors d’une réunion publique à Joigny la nécessité absolue d’une gauche unie et rassemblée, pour empêcher le Rassemblement National de prendre demain les rênes du pouvoir lors des prochaines échéances électorales.
JOIGNY : Dans ses mots d’introduction, Mani CAMBEFORT, secrétaire fédéral du PS dans l’Yonne a d’emblée rappelé le contexte : « bienvenue dans ce département, terre de mission contre l’extrême droite » ! Mais en y réalisant le grand chelem aux dernières législatives, le Rassemblement national a mis la barre très haute, tant la dynamique électorale en sa faveur est forte, notamment dans les zones rurales.
Pour l’invitée du jour, il ne suffit plus aujourd’hui de s’opposer à l’extrême droite sur le terrain des idées, il faut aussi la dénoncer sans complaisance pour ce qu’elle est et représente, citant pour exemple les conseils municipaux auxquels elle assiste régulièrement à Hénin-Beaumont en sa qualité de première secrétaire de la fédération PS du Nord : « l’opposition n’a même pas le droit de parler et les gens qui y assistent sont en fait des militants entraînés à applaudir alors que le public n’est pas censé interagir. Des débordements de mon point de vue trop longtemps tolérés par la sous-préfecture et par l’Etat… ».
Bien décidée désormais, à développer à l’encontre du RN une stratégie d’intervention d’action en justice pour tout manquement à la loi. L’occasion pour Sarah KERRICH, d’un tacle sévère adressé au député de la première circonscription de l’Yonne, Daniel GRENON, récemment condamné en justice : « lorsque l’on tient des propos discriminatoires, racistes, islamophobes, je suis désolée de la dire, mais ça devrait être une cause d’inéligibilité ! Il n’est pas normal de tolérer que des élus de la République puissent ainsi continuer à porter leur écharpe… ».
Des déçus du socialisme qui s’expriment…
Si des initiatives concrètes sont en cours, passant notamment par la constitution de cellules de riposte juridique ou la production de fiches argumentaires pour déconstruire point par point le discours du RN, l’urgence aujourd’hui pour la gauche, est bien d’éviter de répéter les erreurs du passé et un « programme édulcoré », en proposant un projet alternatif audacieux susceptible de redonner espoir à celles et ceux qui se sont détournés d’elle, voire éloignés des urnes. Pas si facile que cela pour le Parti à la rose, à en juger par les propos sans appel de cette militante se réclamant de la gauche extrême, présente dans la salle : « il y a dans ce pays tout un potentiel de gens qui pourraient voter pour une gauche de rupture, mais qui ne votent plus, parce que la gauche pour eux, c’est le Parti Socialiste et quarante ans de politique anti sociale. Comment accepter qu’un gouvernement si proche de l’extrême droite, puisse continuer, grâce au refus d’une motion de censure ? Pour moi, c’est fini, je ne revoterai plus jamais pour le PS ! ».
L’attitude ambiguë de certains élus face aux différents gouvernements jugés trop libéraux se paie cash et l’amertume est aujourd’hui bien présente chez tout un pan de l’électorat. Un constat que reconnaît bien volontiers Sarah KERRICH, persuadée que seule l’union de toutes les forces de gauche peut empêcher le Rassemblement National d’arriver au pouvoir : « il faut porter un discours cohérent et ne pas se tromper de débat. Si on en est arrivé là, c’est que faute d’alternative proposée par la gauche, le vote refuge, qui permet de changer les choses et d’avoir un impact sur le réel, est pour beaucoup, devenu le vote RN… ».
Mais comment renouveler le logiciel et récupérer ces électeurs ? « Si c’est pour proposer une version édulcorée du macronisme où l’on va juste faire un peu moins de casse sociale, un peu moins de casse fiscale et financière, ça ne servira à rien… ». D’autant que le Rassemblement National a réussi pleinement dans son objectif d’inverser la charge, se présentant aujourd’hui comme seul parti du changement.
La déshérence des communes rurales
La question du terrain reste plus que jamais centrale et le porte-à-porte, la proximité, la compréhension des réalités locales au plus près des habitants, sont des leviers essentiels pour regagner la confiance des citoyens, souvent déçus par la politique traditionnelle. Et cela passe par du lien social, par du « communalisme » mettant en avant la société civile et les associations, comme le souligne François, néo-jovinien à la fibre participative : « je pense qu’il est important d’avoir une présence, pas seulement politique, mais également dans le tissu associatif, d’être proche des gens lors d’évènements, y compris des choses toutes bêtes comme des fêtes de village… ».
Un discours partagé par un autre intervenant résidant en milieu rural : « là où l’on vote le plus pour l’extrême droite, même lorsque le village ne compte aucun étranger… ».
Avec des habitants qui ont souvent l’impression d’être oubliés, isolés et en déconnexion totale avec la société : « plus le village est petit, plus grand est le sentiment d’abandon, le sentiment que toutes les aides vont dans les grandes villes ou les quartiers difficiles et qu’ils n’ont plus rien. Plus de poste, plus de médecin, plus de bistro et ils sont tout seuls… ». Une frange de la population devenue hermétique au message politique classique et perméable à l’information véhiculée par une partie des médias : « et pendant qu’on focalise l’attention des gens sur l’immigration, sur les sans-papiers, on oublie de parler du CAC 40, on oublie de parler du scandale de l’exode fiscal en France empêchant de financer les services publics qui manquent au milieu rural, les maisons de retraite, les transports, les moyens de santé… ».
Ne plus être en interaction avec l’intelligence des Français
Engagé depuis 17 ans en politique, le maire de Joigny et vice-président du Conseil régional, Nicolas SORET croit fermement que la clé réside dans la confiance et la capacité à expliquer les problématiques aux citoyens en proposant des alternatives concrètes : « mais ce qui m’a marqué lors de la campagne, l’an dernier et c’est la première fois que cela m’arrivait, c’est que je ne suis pas parvenu à entrer en interaction avec l’intelligence des gens. J’ai labouré, labouré et j’avais en face de moi des gens s’apprêtant à voter BARDELLA ! Même pas ODOUL, mais BARDELLA ! ».
Confrontée aujourd’hui à une ère de post-vérité où ce qui importe n’est plus la vérité mais la croyance, la gauche est-elle de taille pour contrer la mainmise de certains médias et des réseaux sociaux sur l’information ? La secrétaire nationale du Parti Socialiste a son idée sur la question : « dire la vérité, c’est dire que deux et deux font quatre et pas autre chose. Et à part interdire tout ce qui relève du faux et du fake news, je n’ai pas d’autres solutions… ».
Reste à savoir si les électeurs perdus savent encore compter !
Dominique BERNERD