Bon, on ne peut pas dire qu’elle a déplacé les foules, au niveau des représentants médiatiques, la députée de la deuxième circonscription de l’Yonne. Pourtant, Sophie-Laurence ROY va réaliser un sacré tour de passe-passe explicatif durant plus de cinquante minutes lors de sa conférence de presse, accueillie dans l’un des salons de l’hôtel « Le Normandie » à Auxerre. Sur la table, posée devant elle, une copie des 156 pages de la condamnation de Marine LE PEN et des 23 autres coprévenus. Avocate au barreau de Paris, c’est avec son regard analytique d’experte juridique que la parlementaire ayant rallié la cause du mouvement mariniste il y a peu va reprendre dans le menu détail les éléments à charge visant à rendre inéligible la cheffe de file souverainiste.
AUXERRE : D’entrée de jeu, c’est clair : Sophie-Laurence ROY ne demande qu’une chose à la Justice : la relaxe immédiate de Marine LE PEN ! Après une lecture sérieuse, avec crayon, gomme et papier, des volumineux documents dont elle a récupéré une copie et dont elle fait part à la presse, la parlementaire de l’Yonne réfute le jugement rendu par la juridiction de première instance de Paris. Pour elle, il n’y a pas l’ombre d’un doute : « la décision est politique, c’est d’ailleurs écrit dans le jugement ! ».
A ses côtés, l’élue, avocate de profession, n’est pas venue seule à cet exercice oratoire explicatif. Un autre confrère, Me Jean-Marc PONELLE, assiste à l’entretien. Il avait côtoyé Daniel GRENON lorsque ce dernier incarnait le Rassemblement National dans la première circonscription de l’Yonne. Sachant que désormais, le député de Puisaye, exclu du parti bleu marine, court dans la catégorie des non-inscrits. On remarque aussi la présence du président départemental de la formation Avenir Français, une entité alliée du RN, Pascal BLAISE, qui lorgne désormais sur l’investiture des municipales lui permettant d’enlever la capitale de l’Yonne, Auxerre, en mars 2026.
Elle prévient en préambule, SLR ! « Le droit, c’est compliqué et dans cette affaire, çà l’est encore plus ! ».
Pas d’enrichissement personnel
Puis, reprenant : « Dans un état de droit, les gens sont condamnés en application de lois qui existent déjà au moment des faits qu’on leur reproche. Des textes de loi qui existent et qui sont applicables à une date précise. Les faits reprochés à Marine LE PEN ont commencé en 2009 et se sont arrêtés en 2016. A l’époque, ces faits reprochés n’étaient pas interdits. Depuis, 2016, personne n'a recommencé ces faits. Le Parlement européen a dénoncé ses faits à la ministre de cette époque, Christiane TAUBIRA. Cette dernière a transmis immédiatement au parquet financier, et après enquête et instruction, amène à ce jugement. Ni Marine LE PEN ni les autres prévenus n’ont jamais contesté les faits. Le tribunal reconnaît que les contrats de travail n’étaient pas fictifs, ni que les emplois étaient fictifs… ».
Personne, selon les explications arguées par la députée de l’Yonne, ne s’est enrichie dans cette histoire.
« Le tribunal dit qu’il aurait fallu deviner dès 2009 qu’en juin 2018 la Cour de cassation allait étendre l’application de cet article du Code Pénal y compris au bien public européen et à des mandats européens. C’est ce que dit le tribunal : c’était prévisible ! ».
Concrètement, Marine LE PEN et les autres prévenus se sont défendus par la bouche de leurs avocats en rappelant qu’en France, ils étaient en pays de droit et qu’ils ne pouvaient être condamnés que sur des actes déjà réprimés au moment des faits. Mais dans le cas présent, le tribunal ajoute un codicille : celui de la prévision ! Une information apportée avec une pointe d’ironie par l’oratrice.
Bref, une condamnation du tribunal qui se base de la probabilité et de l’anticipation.
« Le tribunal justifie dans plusieurs pages la prononciation de la peine rendant Marine LE PEN inéligible avec exécution provisoire, en s’appuyant sur la loi SAPIN 2, qui est postérieure aux faits. Le tribunal a quand même prononcé cette peine parce que les prévenus n’ont pas voulu reconnaître que les faits étaient délictueux. Ce qui supposait dans l’esprit des juges que les accusés pouvaient recommencer ! ».
Une décision plus politique que juridique
Quant à l’exécution provisoire, elle est destinée à protéger l’ordre public. Un risque de récidive très limité, pour Sophie-Laurence ROY, compte tenu des faits reprochés dix ans auparavant à Marine LE PEN et à ses représentants.
« Le motif de l’exécution provisoire amenant à ce processus d’inéligibilité est le fait, ajoute l’avocate en jouant sur l’intonation de sa voix afin d’en accentuer l’outrance, c’est là où l’on voit que c’est un jugement politique. Le tribunal estime contraire à l’ordre public que les Français puissent voter pour une candidate condamnée en première instance. Il a décidé que les 11 millions de Français ayant voté pour elle, sans compter les autres qui les rejoignent depuis, ne devaient pas être autorisés à accorder leur suffrage à une personne candidate, condamnée en première instance. Or, en France, on a tous le droit d’être jugé deux fois, avant d’être condamné… ».
Une exécution provisoire qui est soit dit en passant plutôt rarissime en France dans les verdicts juridiques.
« Personnellement, confie Sophie-Laurence ROY, après un temps de respiration, je suis choquée ! Et je l’ai dit à l’Assemblée nationale. On a pris les électeurs du Rassemblement National pour des imbéciles… ».
Alors, conteste-t-elle les juges, l’avocate de l’Yonne ? « La justice fait son job habituellement, il n’y a pas de problème. Mais dans le cas présent, elle l’a fait de manière tendancieuse, manifestement ! Et, je ne suis pas la seule à le penser… ». Applaudissements nourris de la dizaine de personnes présentes dans le salon de l’hôtel auxerrois.
Puis, jetant un pavé dans la marre, Sophie-Laurence ROY insinue le doute : « des élèves magistrats qui sortent de l’école de la magistrature ne sont jamais nommés en Cour d’appel ! Ils sont nommés dans des tribunaux où l’intérêt des litiges ne dépasse pas la barre des dix mille euros. Avant de tourner dans d’autres tribunaux… ».
Moyennant quoi, et au vu de cela, la députée de rajouter : « qu’un tribunal de première instance se trompe sur son jugement, c’est courant ! Il faut voir le nombre d’affaires dont la Cour d’appel modifie le jugement initial ! Et c’est normal, c’est la vie de tous les jours dans les tribunaux… ».
D’où l’intérêt d’être jugé deux fois, en France. Selon les principes vertueux du droit, Marine LE PEN et les autres prévenus dont Julien ODOUL, député de la troisième circonscription de l’Yonne, auraient dû être relaxés parce que les faits n’étaient ni répréhensibles ni punissables au moment où ils ont été accomplis parce que du jour où la Commission européenne leur a interdit de les pratiquer, ils ont été arrêtés.
« Oui, c’est un jugement politique à cause de tout cela, résume Sophie-Laurence ROY.
La députée de l’Yonne range le dossier de 156 pages non numérotées dans son classeur. La suite au prochain épisode…avant de futures analyses judiciaires.
Thierry BRET