L’homme est affable, accessible, jouant de cette bonhomie que même ses plus farouches adversaires lui reconnaissent. Il enchaîne « selfies » et dédicaces avec un petit mot pour chacun. A l’extérieur, un « comité d’accueil » brandit des panneaux de colère, portant les noms de Rémi FRAISSE et de Sivens, « in memoriam »… Dans la salle, pas mal de cheveux blancs, pour rappeler qu’il fut un temps où le Parti socialiste était le premier de France. Un temps où la vie se rêvait en rose, un temps où « le changement, c’était maintenant »…
INTERVIEW : Qu’avez-vous pensé à votre arrivée, en croisant ces manifestants venus s’il en était besoin, vous rappeler la tragédie de Sivens ?
François HOLLANDE : « J’ai vécu en tant que président tout un lot de drames, de catastrophes, d’accidents, Sivens en fait partie et d’ailleurs, j’ai appelé la famille de Rémi FRAISSE après le drame. Il y a eu cette manifestation et l’intervention des gendarmes sous l’autorité du préfet du Tarn, mais celui-ci n’a fait que son travail. Quant à Bernard CAZENEUVE, comment lui imputer le lancement d’une grenade tombée dans une capuche ? Le gendarme incriminé a pour sa part, bénéficié d’un non-lieu, même si ce type de grenades offensives est désormais interdit. (La France a été depuis, condamnée en février dernier, par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour « violation du droit à la vie », lacunes du cadre juridique et défaillances d’encadrement). Que certains soient encore dans l’émotion, je peux l’admettre, mais pas s’il s’agit d’une opération de « petite politique »…
En 2020, la gauche perdait la mairie d’Auxerre, suite au maintien d’une liste écologiste au second tour. Alors que la fin du Nouveau Front Populaire semble désormais actée, craignez-vous que pareil scénario ne se produise un peu partout dans l’Hexagone en 2026 ?
« L’union, c’est mieux mais il y aura toujours des gens qui la rejettent. C’est aux électeurs de faire le tri et trouver la solution. Je m’explique : je pense qu’aujourd’hui, le vote doit être avant tout utile, on ne vote plus seulement par affinité, pour telle ou telle liste. Pour avoir le changement, encore faut-il que l’union se fasse et si elle ne se fait pas, d’aller vers la liste qui permettra pour Auxerre de diriger, pour la France, de présider. C’est aux citoyens de décider et si certains ne veulent pas de l’union, il faut les laisser de côté. Vous rappelez ce qui s’est passé ici il y a cinq ans, si les habitants veulent le changement, ce n'est pas la peine de revoter pour une liste qui pourrait permettre à la droite de gouverner, c’est aussi simple que cela… »
Présider ou gouverner, c’est prévoir, mais comment faire avec un Donald TRUMP à la Maison Blanche, pour le moins inconstant dans ses décisions ?
« Il est inconstant mais pas imprévisible, c’est-à-dire que ce qu’il a dit, il le fait. Il a voulu des droits de douane, il les met en place mais il est inconstant car ça ne peut pas tenir. Tout président des Etats-Unis qu’il est, tout entêté qu’il peut apparaître, lorsque les bourses flanchent, que les marchés s’excitent, que les consommateurs s’énervent et que ses propres conseillers, à la tête de grands groupes américains lui disent qu’il fait fausse route, il est obligé de céder… La seule façon de ramener un personnage comme lui à la raison, c’est le rapport de force et non une soudaine lucidité lui faisant dire qu’il a fait le mauvais choix… C’est vrai aussi pour l’Ukraine : il devait régler le problème en 24 heures, on est déjà deux mois après son élection et il se rend compte qu’il y a des soldats Nord-Coréens présents sur le terrain, peut-être même des Chinois, commençant peut-être à comprendre qu’il vaudrait peut-être mieux aider l’Ukraine si l’on veut faire céder POUTINE… ».
Il y a deux ans, l’Yonne envoyait trois députés du Rassemblement National à l’Assemblée. L’époque où le département comptait des parlementaires issus des rangs socialistes, à l’image d’Henri NALLET, de Jean-Yves CAULLET ou plus loin dans le temps, de Roger LASSALE semble bien révolue
« En fait, si on regarde l’histoire de l’Yonne, on s’aperçoit que ce fut longtemps un département radical, que l’on pourrait dire modéré, partagé entre centre droit et centre gauche. Le fait nouveau étant que ce département ait pu se donner trois députés d’extrême droite et la responsabilité en est collective. Il est impératif que la gauche et la droite se reconstituent, se remettent à travailler, pour démontrer ce qu’un parti comme le RN représente pour le département comme pour la France : non seulement un risque pour les libertés, ce qui n’est pas rien, mais aussi un risque pour l’équilibre économique. La solution protectionniste de TRUMP est celle que proposent les élus de ce parti. Ils en sont moins fiers aujourd’hui, car c’est pour eux un désaveu. De la même manière, l’extrême droite en 2014, m’avait critiqué quand j’ai annulé la vente de Mistral à POUTINE, considérant que c’était la faute des Américains et de l’Alliance atlantique s’il avait envahi l’Ukraine. Il faut sans cesse les remettre devant leurs contradictions… »
Il n’empêche que le vote RN recueille aujourd’hui l’adhésion d’un grand nombre d’électeurs, comment l’expliquez-vous ?
« Le vote d’extrême droite est pour partie sédimenté, très identifié sur les thématiques prônées par le RN, mais pour une autre partie de son électorat et c’est peut-être le cas dans l’Yonne ou dans un département comme le mien, en Corrèze, c’est avant tout un vote refus et un vote refuge. Refus des partis traditionnels mais aussi refuge pour les colères individuelles s’ajoutant les unes aux autres, avec le sentiment qu’on ne s’intéresse pas à eux, que tout se fait ailleurs dans la capitale ou dans les métropoles et qu’ils en sont exclus. Un peu comparable d’ailleurs avec ce qui s’est produit pour Donald TRUMP aux Etats-Unis… Il nous faut en tirer les conclusions et essayer de chercher ce qui pourrait les convaincre de l’intérêt d’une action politique « raisonnable » pouvant améliorer leur vie. Il est là aujourd’hui l’enjeu de la politique… »
Propos recueillis par Dominique BERNERD