Entre culture et économie, comment valoriser les atouts de la francophonie ? En marge de la réunion des chefs d’État et de gouvernement, toute une programmation culturelle et économique a mis l’accent sur la richesse de l’espace francophone. Trente-trois ans après l'édition de 1991, le XIXe Sommet de la Francophonie s’est tenu de nouveau en France début octobre avec des cérémonies et échanges prévus entre la Cité internationale de la langue française (CILF), à Villers-Cotterêts et le Grand Palais, à Paris. Un retour symbolique, dans un contexte international bouleversé par les conflits armés, et une situation économique mondiale préoccupante…
La place de la langue française dans le monde…
L'Organisation internationale pour la francophonie (OIF) recense 88 pays membres à date. Elle devrait intégrer cinq nouveaux pays cette année. Près de 120 délégations internationales, dont une soixantaine de chefs d'État ou de gouvernement, étaient attendus à cet événement d'ampleur. Parmi eux, un grand nombre de dirigeants africains, notamment, Mohamed VI, dont la présence laisse penser à un signe de rapprochement, alors que le climat entre la France et le Maroc s'était passablement refroidi ces derniers temps.
« La tenue de ce sommet en France résonne aussi avec un certain nombre d'enjeux pour la francophonie, en particulier la place de la langue française et le rôle de la francophonie dans la diffusion du français à l'échelle internationale… un environnement numérique dans lequel de nouveaux outils, tels que l'intelligence artificielle, peuvent jouer un rôle majeur dans la diffusion des contenus en Français », a souligné Valérie SENGHOR, secrétaire générale adjointe de l’OIF.
Le rejet anti-français rejailli sur la pratique linguistique
Présent sur les cinq continents, le français conserve un fort dynamisme avec des nouveaux locuteurs chaque année, particulièrement en Afrique. Sur les 321 millions de francophones dans le monde, 60 % vivent en Afrique. Malgré cela, le français, cinquième langue la plus parlée au monde, connaît un recul en Afrique où la France a vu ses relations se détériorer, voire cesser avec plusieurs pays.
C'est notamment le cas au Sahel où a émergé ses dernières années un fort sentiment anti-français qui s'est également répercuté sur la langue. Les pays de l'Alliance des États du Sahel (AES), c’est-à-dire le Mali, le Burkina-Faso et le Niger, sont suspendus depuis quatre ans de l'OIF en raison des coups d'état survenus dans ces pays et des juntes qui se sont installées au pouvoir. À l'inverse, la Guinée a été réintroduite le 24 septembre après trois ans de suspension.
La francophonie repose également sur des enjeux économiques
Conscient des atouts conséquents de l'espace francophone, l'OIF semble vouloir désormais développer les opportunités économiques. Signe de cette nouvelle volonté, pour la première fois et en parallèle du Sommet, s’est tenu le salon FrancoTech, en association avec « Business France » et l'alliance des patronats francophones. L'événement aura réuni 1 500 professionnels, le plus grand campus de start-ups du monde, à Paris, pour promouvoir l'innovation, faciliter les connexions et favoriser les rencontres d'affaires.
« Nous avons forcément un lien privilégié avec les pays francophones. La francophonie nous permet d'échanger plus facilement et de nous comprendre. Si on prend l'exemple de l'Afrique anglophone, même si les opportunités existent, il est plus compliqué pour nous d'aller percer ce marché, du fait de la barrière de la langue, des équipes, etc. Sur la partie des solutions de financement, sur les solutions de garantie, c'est beaucoup plus facile pour nous d'emmener aujourd'hui le Sénégal sur une plateforme française, demander à « Business France », à l'AFD, qui sont déjà présents dans ces pays, de venir financer », développe Hasnaine YAVARHOUSSEN, dont le groupe FILATEX est le premier producteur privé d'énergie à Madagascar et échange principalement avec des entreprises, des investisseurs et des organismes francophones. La dimension économique et financière est d’autant plus importante, à l’heure où la Chine et la Russie souhaitent détrôner la France de ses positions dominantes en Afrique.
Une union de façade qui traduit la perte d’influence de la France
Autre innovation pour ce XIXe Sommet, la tenue du Festival de la francophonie, organisé par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
« C'est une manière de faire porter le débat sur la place publique et d'inviter chacun à cette célébration, à faire l'expérience de la francophonie par le prisme des arts et de la culture », note Mme SENGHOR, également commissaire du festival. Intitulé sobrement « Refaire le monde », celui-ci a offert une riche programmation culturelle, à travers des spectacles, des projections de films, une exposition, beaucoup de rencontres et de débats, des ateliers, une grande librairie, des concerts dans l'optique de faire découvrir les richesses et la diversité des cultures francophones.
Les rapprochements et l’amitié « France-Afrique » sont une réalité, riche d’espoirs et d’enseignements. Derrière l’union de façade autour de la langue française, ce grand forum aura illustré toutefois la perte d’influence politique de Paris sur le continent africain.
L’impuissance de la francophonie à peser sur les dossiers sensibles de l’Afrique, tient notamment à la défiance du Congo, vis-à-vis de l’actuelle secrétaire générale de l’OIF, Louise MUSHIKIWABO, ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangère, fidèlement alignée sur son président Paul KAGAME. Le 20 mars dernier, Kinshasa avait d’ailleurs ouvertement boycotté la journée de la Francophonie. Certes, le continent africain demeure « le cœur battant de la francophonie ».
Le français est battu en brèche par l’anglais
Il abrite 75 % des quelque 100 millions d’élèves au monde, scolarisés en langue française. Mais, l’avenir est loin d’être radieux. Partout dans le monde, l’usage du français est battu en brèche par celui de l’anglais. Et dans l’espace africain, francophone, la croissance démographique submerge des systèmes éducatifs qui ne cessent de s’appauvrir.
On le voit bien, même un sommet sur la francophonie, qui doit avant tout rester sur les aspects culturels, laisse une part prépondérante à l’économie, les finances et la politique. Le français demeure la langue de la diplomatie internationale (surtout au XIXème siècle), la langue diffusée par des jésuites qui ont formé la majorité des dirigeants la planète. Une langue de Molière qui a permis à d’illustres personnages de s’exprimer, comme Rabelais, Hugo, Bernanos, Léopold Senghor, Abd al Malik (rappeur, auteur-compositeur…), Camus, Flaubert et tant d’autres…
Une langue de Molière torpillée de l’intérieur avec l’usage de l’inclusif
Hélas, les torpilles qui souhaitent détruire notre belle langue viennent encore de l’intérieur : les courants « wokistes » et les mouvements « LGBT », qui veulent imposer la langue inclusive. Une aberration sur le plan de nos racines culturelles. Plus grave, les grands éditeurs s’attachent le service de spécialistes de l’inclusif : ils ont pour mission de mesurer si les manuscrits proposés ne présentent pas d’éléments qui pourraient choquer la sensibilité de certains groupes !
« Le Camus austère qu'on respecte, envie et craint parce qu'on voit en lui l'adversaire irréductible de tous les abus et de toutes les injustices, est l'incarnation même de cette sainteté laïque. (...) Précurseur solitaire, Camus est aux avant-postes, mais sa démarche est solidaire. Il est tous les personnages du roman, qui luttent chacun à leur manière contre la peste. Il est tous les hommes, avec tous et sans exception. C'est en cela que « La Peste » magnifie la solidarité. » Abd al-MALIK.
Jean-Paul ALLOU