Des chiffres record constatés en 2024 : l’Assurance Maladie fait de la lutte contre les fraudes sa priorité absolue (1/2)
Le sujet est sensible. Capital, devrait-on dire. Tant la lutte contre la fraude aux prestations sociales représente aujourd’hui en France un enjeu majeur de notre société, à l’heure où le gouvernement pointe du doigt de nombreuses dérives financières dans nos systèmes. Un enjeu que les responsables de l’Assurance Maladie, toutes strates sectorielles confondues, entendent bien mener de pied ferme, avec les outils et les personnels appropriés, pour endiguer un phénomène qui ne cesse de croître depuis plusieurs années. Dans l’Yonne, cette fraude équivaut à 2,4 millions d’euros d’actes illicites détectés et stoppés…la mobilisation est en marche.
AUXERRE : Elles sont rares, les conférences de presse, accueillies dans les locaux de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Yonne. Mais, quand elles y sont organisées par le staff exécutif de la vénérable institution, pas de doutes, il y a vraiment des choses à dire. Surtout autour de la thématique du jour : la lutte contre la fraude !
Une fraude qui a connu une véritable envolée au fil de ces dernières années dans l’Hexagone et qui semblerait ne jamais s’arrêter si des moyens de contrôles et de coercitions n’étaient effectivement pas mis en place par les autorités compétentes. En particulier, les dirigeants de l’Assurance Maladie qui sont bien décidés à relever le défi et à optimiser coûte que coûte ce combat contre des fraudeurs irrespectueux du civisme aux origines multiples. Depuis l’assuré social aux employeurs – une très faible proportion, pouvons-nous noter toutefois -, jusqu’aux professionnels de santé exerçant en ville sans omettre les établissements sanitaires…Bref, la fraude aux prestations sociales se pratique comme un sport national en France et le directeur général de la CNAM, Thomas FATOME, entend bien y mettre un sérieux frein dans les semaines et mois à venir. Frein se déclinant par ruissellement sur l’ensemble des caisses locales dont celle de l’Yonne. Comme il devait le préciser lors d’une conférence de presse nationale, tenue au printemps dernier.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont évocateurs de la situation quasi ubuesque dans laquelle vit la France d’aujourd’hui en matière de moralité : 628 millions d’euros de préjudices ont ainsi été détectés et stoppés l’année dernière, c’est-à-dire trois fois plus qu’en 2021, date de référence qui avait déjà servi à communiquer largement sur le sujet dans la presse, se faisant écho de cet état de fait plutôt consternant. Mais, au-delà de ce chiffre, on retiendra surtout que le montant des fraudes évitées lui est en hausse de 55 % par rapport à l’exercice 2023, pour atteindre la somme de 263 millions d’euros !
Une « task force » de compétences et de ressources pour traquer les fraudeurs
Président du conseil départemental de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, Bruno BLAUVAC a résumé en une phrase la stratégie aujourd’hui déployée par l’organisme : « Notre système de santé est notre bien commun, le protéger est une priorité absolue ». Une citation puisée dans le répertoire de Thomas FATOME, précisément. Ensuite, il revenait au président d’introduire cette conférence de presse, réunissant trois autres acteurs de la CPAM de l’Yonne : son directeur, Gilles BROSSARD – il analysa dans les grandes lignes la politique nationale de lutte contre la fraude -, le directeur adjoint en charge de la Santé et de la Communication, Thierry GALISOT – il apporta des précisions sur l’état factuel de la fraude dans le département de l’Yonne, chiffres à l’appui – et la directrice comptable et financière, Sandrine TUPINIER, qui expliqua les fondements de la politique de contrôle et de maîtrise des risques telle qu’est menée au sein de la caisse départementale, avec ses équipes au quotidien. Un travail titanesque mais ô combien nécessaire pour déceler le moindre faux pas.
Comme un clin d’œil astucieux rappelant les activités éclectiques menées par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, ce rendez-vous avec la presse se tint au CES, le Centre d’Examens de Santé.
Lors de son intervention, Gilles BROSSARD insista sur le renforcement des contrôles qui est le résultat d’une politique pluriannuelle devant s’inscrire dans la durée, avec davantage de moyens humains et technologiques, mais aussi d’une fermeté croissante vis-à-vis des fraudeurs. Conséquence : le volet répressif sera durci lorsque des fraudes seront observées.
Il est clair que les risques inhérents à l’usage du numérique apparaissent comme l’une des résultantes prioritaires de cette hausse des fraudes au fil de ces dernières années.
« Aujourd’hui, on peut acheter librement sur le Net des avis d’arrêt de travail, concède le directeur de la CPAM de l’Yonne, alors que c’est totalement frauduleux ! Un avis d’arrêt de travail, on l’obtient uniquement chez son médecin traitant. On constate qu’il y a une démultiplication des moyens technologiques pour les délinquants depuis quelques années… ».
La CNAM (caisse nationale) a donc mis les pieds dans le plat. Elle s’est dotée de six unités d’enquêteurs judiciaires au niveau de l’Hexagone, des cellules composées au total d’une soixantaine d’agents dotés de compétences en investigation numérique. Des pôles inter-régionaux judiciaires ayant des pouvoirs importants, avec des représentants des forces de l’ordre, des statisticiens et des informaticiens. Une véritable « task force » de compétences et de ressources, en somme !
Les professionnels de santé dans le collimateur
Poursuivant sa présentation, Gilles BROSSARD est revenu sur le montant national de ces fraudes constatées en 2024, soit 628 millions d’euros. « Cette somme se décompose en préjudice détecté et en préjudice stoppé. Dans le premier cas, cela concerne le préjudice constaté a postériori, soit 365 millions d’euros, une progression de + 23 % par rapport à 2023. Quant au préjudice stoppé, c’est-à-dire celui qui a été évité, renchérit l’orateur, cela correspond à 263 millions d’euros. Une hausse de 55 % par rapport à 2023. Nous privilégions le plus possible des interventions en amont de la fraude afin de l’éviter en identifiant les risques… ».
Alors, les auteurs de ces fraudes aux prestations sociales, qui sont-ils ? En nombre de fraudes opérées en 2024, l’essentiel est commis par les assurés sociaux à hauteur de 52 % ! Les professionnels de santé tiennent la corde avec 27 % des actes frauduleux. 21 % des établissements de santé (EHPAD, services de soins à domicile, etc.) pratiquent cet exercice incivique. Les employeurs qui peuvent par exemple intervenir sur les indemnités journalières occupent la dernière place de ce triste palmarès, avec 0,5 %. La répartition de ces fraudes au niveau des montants détournés place en tête de gondole les professionnels de santé (68 %), devant les assurés sociaux (18 %), les établissements sanitaires (14 %) et une fois encore, les employeurs qui ferment le ban avec 0,3 %.
« C’est logique, explique Gilles BROSSARD, les professionnels de santé sont les principaux ordonnateurs de ces dépenses. Ce sont eux qui déclenchent et facturent les soins à l’Assurance Maladie… ».
Parmi les fraudes ayant défrayé la chronique en 2024, on citera volontiers les fraudes aux audioprothèses. Elles ont été multipliées par cinq en l’espace d’une année ! Soit un montant hexagonal de 115 millions d’euros détectés et stoppés !
« Sur ce point, précise Gilles BROSSARD, il y a nécessité à réagir très vite, et sur cette somme, nos services ont pu en stopper 76 % en amont ! C’est un motif de fierté pour nos équipes… ».
Quadruplement des faux arrêts de travail en 2024 !
Quels sont les mécanismes qui expliquent cette prolifération exponentielle de fraudes sur ce segment d’activité ?
« On a réussi à les identifier, souligne le directeur de la CPAM 89, sur les 55 000 factures contrôlées à l’échelle nationale, en lien avec les représentants de la profession pour détecter ces fraudes, on s’est aperçu qu’il se pratiquait des usurpations d’identité au niveau des assurés, des facturations fictives sur des prothèses jamais délivrées aux assurés, de fausses prescriptions, voire l’exercice illégal de la profession d’audioprothésiste sans avoir les diplômes… ».
Une spécialité médicale, très rentable, qui attire de plus en plus les fraudeurs quand on sait que le prix moyen d’un appareil auditif oscille entre 1 300 et 1 500 euros par oreille en France. Mais, parfois, les coûts peuvent se situer autour de 2 400 euros.
L’Yonne n’échappe pas à ce phénomène puisque les fraudes s’élevaient en 2024 à 824 000 euros sur ce poste de l’appareillage auditif.
Du côté des établissements de soins et médico-sociaux, la fraude se situe dans la France de 2024 à 63 millions d’euros, soit 1,75 fois plus que l’année précédente. Mais, l’un des postes clés de la fraude aux prestations sociales demeure les arrêts de travail. Ils représentent 42 millions d’euros détectés et stoppés. Les deux tiers de cette somme ont pu être arrêtés avant qu’elles ne soient versées.
« Les faux arrêts de travail nous préoccupent beaucoup, concède Gilles BROSSARD, ils ont représenté 30 millions d’euros en 2024 et sont quatre plus nombreux qu’en 2023 ! ».
Un quadruplement de fausses déclarations dans le domaine de l’activité professionnelle qui laisse perplexe la direction de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie icaunaise. Nombreux sont les sites sur Internet qui proposent leurs services frauduleux en vendant de faux arrêts de travail à qui veut bien essayer. Bonjour, la moralité !
Plus de 20 000 actions contentieuses engagées !
Pour contrer cela, reste le durcissement de la stratégie mise en place par l’Assurance Maladie. Un volet que ne manqua pas d’expliciter le directeur de la CPAM de l’Yonne.
« Nous cherchons à renforcer la répression, précise-t-il, 20 000 actions contentieuses ont été engagées au niveau national. Ce sont des procédures pénales avec des dépôts de plaintes, ordinales (signalement au conseil de l’ordre) ou conventionnelles (douze professions médicales ont signé des conventions avec l’Assurance Maladie et ne pas les respecter entraînent des sanctions). On mène toujours ces actions en totale concertation avec les représentants des corporations médicales… Eux-aussi sont lésés et veulent que ces pratiques soient réprimées ».
Dans les faits, 7 000 pénalités financières ont été notifiées en 2024 pour un montant de 50 millions d’euros soit deux fois plus qu’en 2023. Du côté des procédures pénales engagées, elles se sont élevées à 8 400 en 2024 (un doublement par rapport à 2023). Les procédures de déconventionnement ont frappé une dizaine de centres dentaires pour des durées comprises entre une année et cinq ans dans les régions PACA, Ile-de-France ou Nouvelle-Aquitaine.
Cocorico : la Bourgogne Franche-Comté n’est pas concerné par ces mesures. Ni en 2024, ni depuis le début de l’année 2025 où sept nouveaux centres de santé dentaire viennent d’être rattrapés par la patrouille des contrôleurs de l’Assurance Maladie !
Dans le second volet de ce reportage, les résultats de l’Yonne seront dévoilés…
Fin de la première partie
Thierry BRET