Invité aux 15ème Rencontres Auxerroises du Développement Durable (RADD), le député écologiste d’Indre-et-Loire Charles FOURNIER a présenté lors d’une table ronde réunissant plusieurs acteurs locaux sa proposition de loi visant à expérimenter une « Sécurité sociale de l’Alimentation ». Un projet structurant qui, face à l’urgence sociale et écologique, entend redonner aux citoyens le droit de bien manger, tout en soutenant les agriculteurs et la transition écologique. Ou comment sortir ces droits essentiels de la seule logique du marché, avec l’ambition d’aller bien au-delà de la lutte contre la précarité pour engager un véritable projet de société...
AUXERRE : « Qui a ici déjà entendu parler de la Sécurité sociale de l’Alimentation ? ». La question soulevée en ouverture de la soirée par Denis ROYCOURT plante le décor d’un débat majeur et encore trop peu connu. Lors de la cinquième journée des RADD 2025, le public a pu découvrir une proposition ambitieuse, portée par le député écologiste Charles FOURNIER. Directement inspirée du modèle historique de la Sécurité Sociale, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le projet repose sur trois piliers : l’universalité, la solidarité et la démocratie. Avec l’idée de verser à chaque citoyen, une allocation mensuelle d’environ 150 euros à dépenser dans un réseau de producteurs et distributeurs conventionnés, afin de leur permettre d’accéder à une alimentation de qualité, choisie et respectueuse de l’environnement. Plus qu’un simple chèque mensuel, ce modèle ambitionne de créer une nouvelle gouvernance alimentaire : « il ne s’agit pas de dicter ce que les gens doivent manger, mais bien de redonner du pouvoir aux citoyens sur leur alimentation…, explique Charles FOURNIER
Des dépenses qui mériteraient d’être mieux réorientées…
Le projet répond à une triple impasse, à la fois sociale, agricole et sanitaire : « d’un côté, 38 % des Français déclarent avoir déjà eu recours à l’aide alimentaire, une sorte de double peine car non seulement vous ne mangez pas à votre faim, mais vous ne choisissez pas ce que l’on vous donne et de l’autre, des paysans qui sont 20 % à vivre sous le seuil de pauvreté… ».
Quant au sujet de la santé, les chiffres sont explicites, avec 12 milliards d’euros de dépenses annuelles estimées pour faire face à la malbouffe, voire 19 milliards si l’on intègre les frais de dépollution et les coûts indirects. Ne dites pas à l’ancien Conseiller régional EELV que, face à un budget en mal d’économies, sa proposition de loi est utopiste : « en 1945, l’état des finances publiques était pire qu’aujourd’hui, pour des raisons que vous pouvez imaginer. Les enjeux de reconstruction étaient majeurs et pourtant, on a inventé la Sécurité Sociale… ».
Evalué à 180 milliards d’euros, le projet de « carte vitale alimentaire » est à mettre en parallèle avec les coûts cachés de notre alimentation, chiffrés dans un rapport de 2023 par la FAO à 156 milliards d’euros pour la France. Les pistes de financement ne manquent pas : revenus du travail, CSG, revenus du capital, relecture des allégements Fillon, ces exonérations annuelles de cotisations sociales et patronales pesant lourdement sur le financement de la Sécurité Sociale ou bien encore la réorientation de certaines dépenses : « je vous ai parlé des dépenses liées à la malbouffe, j’aurais pu parler des dépenses liées à l’aide alimentaire, qui progressivement pourraient être réorientées. On pourrait évoquer aussi un certain nombre de dépenses et d’aides agricoles qui mériteraient d’être mieux orientées. .. ».
Même sans cadre légal, des dizaines d’expérimentations ont vu le jour en France et près d’une quarantaine de territoires testent aujourd’hui le principe avec des moyens limités. Charles FOURNIER propose pour cela, une loi d’expérimentation et un fonds public permettant à ces initiatives d’être évaluées, soutenues et étendues : « mon expérimentation sur cinq ans coûterait environ 35 millions d’euros par an, c’est tout à fait absorbable… ».
Des actions locales ambitieuses avec le collectif « SoliCagnole »
Et si une autre manière de consommer devenait le moteur d’une justice sociale et environnementale ? Dans l’Yonne, le collectif « SoliCagnole », qui agit pour mettre en place des caisses de solidarité alimentaire sur le département, a lancé un dispositif reposant sur une monnaie locale, la « Cagnole », afin de permettre aux habitants, quel que soit leur revenu, d’accéder à une alimentation bio et locale. Son principe est simple : les adhérents cotisent chaque mois en fonction de leur quotient familial (de 3 à 55 euros) et la caisse mutualisée est complétée pour garantir à chacun un budget mensuel de 55 euros en produits bio, à dépenser chez des producteurs locaux ou magasins partenaires.
Au cœur du projet, explique sa représentante, la volonté de rompre avec l’aide alimentaire reposant souvent sur des produits transformés, importés et dont la qualité laisse parfois à désirer : « comme ces bocaux d’asperges, distribués il y a trois semaines, importés de Chine, dont la DDM (date de durabilité minimale), était dépassée depuis un an… ».
Portée par une ambition à la fois écologique, sociale et éducative, « SoliCagnole » organise aussi des ateliers pour apprendre à cuisiner des légumes de saison et optimiser son budget. Grâce au soutien de la CAF et de France Active, quatre caisses locales ont ainsi vu le jour depuis mars dernier, totalisant 54 bénéficiaires, avec l’objectif visé de 200 adhérents d’ici la fin de l’année.
Une révolution par l’assiette, en discrétion et détermination
Dans le sillage d’initiatives locales de ce genre, la CAF de l’Yonne s’engage à son tour dans une dynamique d’alimentation solidaire. Sans parler explicitement de « Sécurité Sociale de l’Alimentation », la Caisse d’Allocations Familiales a adopté, via son conseil d’administration, une approche centrée sur la solidarité et la durabilité, souligne Anne-Claire OULDHADDI, responsable stratégique de l’action sociale à la CAF de l’Yonne : « l’idée est bien de rester au même objectif que celui décrit tout à l’heure, c’est-à-dire de garantir aux familles allocataires, un accès à une alimentation locale et en circuits courts, tout en assurant un revenu stable aux agriculteurs ».
Une ambition saluée par Philippe CAMBURET, agriculteur bio et ancien président de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique), qui y voit un levier doublement vertueux, répondant à la fois à la précarité alimentaire, tout en valorisant des pratiques agricoles préservant le vivant : « finalement, ce qui compte le plus, c’’est que l’on commence à recréer un nouveau rapport à l’alimentation, comme si, en faisant table rase de décennies de surconsommation, de courses au prix le plus bas en rognant toujours plus sur la qualité, on commençait à écrire une autre histoire ».
Une révolution par l’assiette, discrète, mais déterminée…
Dominique BERNERD