Le nihilisme fut toujours présenté comme une idéologie qui rejette toute croyance, qui refuse toute contrainte sociale. Une disposition d'esprit caractérisée par le pessimisme et le désenchantement moral. Une situation bien actuelle et développée par l’intelligentsia comme contraire à la démocratie. Nos démocraties se délitent, et en Occident, on peut voir se développer des régimes totalitaires. Les situations de crises, économiques, financières, sociales, politiques, voient naître, des dirigeants politiques omnipotents, despotiques, pour ne pas dire dictatoriaux !
TRIBUNE : Vers 3000 avant J.C., certaines recherches archéologiques suggèrent que la Mésopotamie antique possédait des caractéristiques démocratiques, malgré la théocratie prégnante. Les premières cités mésopotamiennes possédaient des gouvernements dans lesquels, une assemblée générale, composée des hommes libres d’une communauté, gérait les affaires publiques. Vers 1850 avant notre ère, le code d’Hammourabi présente à ce jour, le plus complet des codes de lois. Les lois, imposables à tous concernent une organisation et des pratiques judiciaires, avec entre autres, les droits de la famille, la propriété, les statuts sociaux, les activités économiques et financières…
Du IVe au Ier siècle av. J.-C., plusieurs auteurs grecs n’ont pas tari d’éloges quand ils ont évoqué, à un propos ou à un autre, la constitution de la cité fondée par des Phéniciens venus de Tyr, en 814 av. J.-C., selon la tradition classique. Dans l’un de ses discours politiques datant du début du IVe siècle av. J.-C., Isocrate, un maître de la rhétorique grecque judiciaire et politique a assimilé les Carthaginois aux « Grecs qui étaient les mieux gouvernés ». Le philosophe grec Aristote affirmait que la constitution de Carthage était une des trois meilleures du monde. Aristote a fait la description des institutions carthaginoises qui prévoyaient notamment un équilibre des pouvoirs entre les Suffètes et le Grand Conseil. Le philosophe précisa aussi le rôle de l’Assemblée du peuple, dans laquelle « chaque citoyen peut prendre la parole sur l’objet en discussion, prérogative qu’on chercherait vainement ailleurs ». Ainsi, au IVe siècle avant notre ère, la cité de Carthage occupait une place de choix dans l’invention de la démocratie, dont le monde grec n’avait pas l’exclusivité.
C’est au cours de cette période oligarchique, ponctuée de quelques épisodes de tyrannies et de crises sociales, que se mettent en place les fondements de la démocratie athénienne. Des réformateurs instaurent progressivement des mesures politiques et législatives qui favoriseront la participation des citoyens à la vie publique. D’abord, à la fin du 7e siècle av. J.-C., Dracon rédige un code de lois qui constitue une première tentative d’instituer un droit écrit commun pour tous les citoyens. Contrairement à notre démocratie représentative, le régime politique athénien est une démocratie directe, c’est-à-dire que les citoyens peuvent participer directement aux décisions d’ordre public. De même, les principales institutions politiques assurent une participation équitable à la gouvernance de la cité, notamment en octroyant une grande place au tirage au sort – et, par conséquent, à l’intervention des dieux – lors de la nomination aux charges publiques. Et si on nommait notre futur président par tirage au sort ? Pas sûr que ce soit pire mais surtout, le tirage pourrait être falsifié…
Les travers de la démocratie vus par Platon
Dans le livre VII de « La République », dialogue rédigé par Platon, Socrate désigne, en effet, la démocratie “comme une forme peu flatteuse, et, à la limite, peu recommandable de régime politique”. Placée juste avant la tyrannie en ce qui concerne le degré de corruption, la démocratie y est considérée comme une forme « défectueuse » dans sa constitution. Deux dangers sont notamment dénoncés par le philosophe : la démagogie, c’est-à-dire l’attitude consistant à flatter les vices du peuple afin de s’attirer ses suffrages et l’ochlocratie, qu’il définit comme « le gouvernement aveugle dominé par les passions de la multitude, de la masse ». L'un des plus grands philosophes de l'Antiquité, Platon, avait une vision très critique de la démocratie, principalement influencée par le procès de son maître, Socrate. Il voyait ce régime comme instable et imparfait, marqué par l'ignorance collective et susceptible de sombrer dans la tyrannie ou l'oligarchie. Une prémonition intéressante puisque annonciatrice de ce qui se passe aujourd’hui.
Un parallèle encore plus flagrant avec le mode législatif dans l’antique Athènes. La cité d’Athènes compte 300 000 habitants mais seuls 40 000 citoyens hommes ont le droit de vote. Les hommes ne sont donc pas égaux. Ce n’est pas un système juste et égalitaire .Un petit groupe d’hommes souvent très riches dirigent la cité d’Athènes. Les femmes, les esclaves, les métèques et émigrés vivant à Athènes n’ont aucun droit. Une fraction minoritaire vote aujourd’hui pour un président contesté le lendemain de son élection.
Le droit de vote des femmes
Achevée en 1791, la première Constitution désigne le peuple comme souverain, ce qui signifie que ce n’est plus le roi, mais bien le peuple, en tant que nation, qui détient l’autorité. Les hommes, mais pas les femmes (ce fut l’un des combats d’Olympe de GOUGES) ont désormais le droit de voter. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. Article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
La République parvient à s’installer définitivement dans le paysage institutionnel français avec la IIIème République, la plus longue des républiques. Née en 1870, elle s’achève soixante-dix ans plus tard avec l’instauration du régime de Vichy, en 1940. En 1945, au lendemain de la guerre, la France est décidée à se relever, mais aussi à accorder, enfin, le droit de vote aux femmes. Leur rôle, important pendant le conflit qui s’achève, tout comme dans celui de 1914-1918, n’est pas étranger à cette décision. Le 29 avril 1945, à l’occasion des élections municipales, elles se rendent donc pour la première fois aux urnes.
Aujourd'hui, la société opère un profond retour à une attitude nihiliste : les totalitarismes meurtriers qu'ont été le nazisme et le communisme, la prise de conscience des limites de la science avec les polémiques liées à l’IA, et la perte de confiance en la politique ont fait sombrer la société dans une énorme dépression. La démocratie est aujourd’hui sanctifiée et sanctuarisée par le règne de la pensée unique, le « politiquement correct », sévissant et interdisant peu ou prou toute remise en question ou examen critique d’un modèle auquel il ne doit pas être présenté d’alternative et qui a, de ce fait, valeur universelle.
La prémonition de Socrate, c’est celle du caractère intrinsèquement nihiliste de la démocratie. En effet, la démocratie est d’essence nihiliste en ce sens qu’elle procède à la dissociation, à la césure de la vérité et de la politique.
Le devoir d’insurrection est inscrit dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793. Un texte qui, hélas n’a jamais été appliqué (Napoléon et le 18 brumaire sont passés par là) : « Article 35. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Jean-Paul ALLOU